mercredi 5 décembre 2007

PARADIS FISCAL, PARADIS LEGAL?

Qu'est ce qu'un paradis fiscal? A cette question beaucoup répondent qu'il s'agit seulement d'îles exotiques permettant à des mafieux ou délinquants de blanchir leurs fonds, et d'éviter de payer des impôts.

Pourtant la réalité est plus complexe et plus sérieuse. Dès 1968 Alain Vernet du Figaro les avait qualifié de « bas fonds de la finance internationale » : en effet ils font aujourd'hui partie intégrante du système économique mondial et entrent dans la stratégie des entreprises. Par ailleurs l'Europe, contrairement aux idées reçues est très en avant en matière de paradis fiscaux : pas besoin en effet d'aller très loin pour pouvoir placer ses fonds « au chaud ».


QU'EST CE QU'UN PARADIS FISCAL?

Définir un paradis fiscal n'est pas chose aisée. En effet, que ce soit au niveau national ou au niveau international il n'existe pas dans la législation ou dans la jurisprudence de définition précise.

Cependant les travaux de l'OCDE et le rapport Gordon (rapport de l'administration fiscale américaine) retiennent quelques critères :

- les paradis fiscaux se signalent tout d'abord par une fiscalité basse, notamment celle sur le capital des non résidents

- ils se signalent aussi par le secret bancaire ou commercial. Concernant le secret bancaire certains pays le considèrent ainsi comme un élément de l'ordre public (Suisse, Monaco), comme un droit de l'Homme (Luxembourg), comme un devoir professionnel pénalement sanctionné (Suisse), comme un élément de la sécurité étatique (Liechtenstein). Avec parfois des conséquences scandaleuses (affaire des avoirs juifs, affaire Sani Abacha)

Concernant le secret commercial, cela concerne surtout les pays anglo-saxons régis par la « common law », qui limite tout formalisme, et tolère de ce fait une forme d'opacité. Idem pour différentes formes de sociétés (trusts, fiducies, anstalt...) présentes dans les paradis fiscaux

- une coopération judiciaire internationale faible vis-à-vis d'autres Etats instituant une forme d'impunité en matière de délinquance financière

- divers critères secondaires : secteur financier très développé par rapport à la taille du pays; facilité d'installation et de création des entreprises; stabilité économique et politique; bonnes infrastructures de communication et de transport; rareté des conventions fiscales; faiblesse des dépenses publiques; législations anti-blanchiment ou lutte anti-blanchiment faibles


INTERET DES PFJ

Tout d'abord l'intérêt des paradis fiscaux est financier : les 65 paradis fiscaux géreraient ainsi 6000 milliards d'euros, et représenteraient près de la moitié des flux financiers mondiaux. Ils accomplissent des investissements directs à l'étranger à hauteur de 200 milliards d'euros annuels : ainsi 20 % des investissements réalisés en Chine le sont par les Iles Vierges, qui y investissent plus que le Japon ou les Etats Unis, les Iles Caïmans et les Iles Samoa. Le premier investisseur en Inde est l'Ile Maurice. Les Iles Caïmains sont devenus la cinquième place financière au monde. Les paradis fiscaux sont les deuxième détenteurs d'obligations d'Etat américaine.

Surtout les paradis fiscaux ont connu un développement exponentiel ces dernières années : alors qu'ils n'étaient que 25 dans les années 70, ils sont aujourd'hui 65, selon un rapport de l'OCDE leurs avoirs auraient augmenté de 500 % entre 1985 et 1994. Il y aurait 2,4 millions de sociétés écrans dans ces paradis fiscaux.

Les effets sont divers : un manque à gagner fiscal pour les Etats (des services publics affaiblis et un déplacement de la charge vers les plus pauvres : « seules les petites gens paient des impôts! », s'exclamaient ainsi Leona Helmsley, milliardaire américaine, lors de son procès en 1989), une concurrence fiscale entre Etats les obligeants à baisser leur imposition sur le capital en le reportant sur les particuliers (au Pérou les entreprises étrangères ne paient quasiment pas d'impôts), la possibilité pour des multinationales de truquer leurs comptes, une instabilité financière mondiale accrue du fait de l'absence de contrôle de ceux-ci.

Les paradis fiscaux ont aussi joué un rôle dans diverses crises financières mondiales : par leur volatilité (crise en Asie du Sud-Est, en Argentine, au Mexique ou en Russie), ou par leur aptitude à dissimuler des dettes (Parmalat, Enron, Worldcom). Ainsi en 2001 le Brésil a vu s'envoler 4 milliards de dollars rien que vers les Bahamas et les Iles Caïmans.


PARADIS FISCAUX ET NEO-CAPITALISME

Dans le capitalisme présent, fondé sur les monopoles, le refus de la régulation et une paupérisation, les paradis fiscaux jouent un rôle majeur :


- une première pratique : les prix de transfert

Cette pratique permet d'optimiser les profits entre une entreprise et ses filiales en manipulant les prix de transaction. Simon J. Pack a ainsi relevé ces abus : sable importé 2 000 dollars la tonne (contre un prix mondial moyen de 10 dollars), ampoules de flash à 300 dollars (contre 10 cents), mitrailleuses à 364 dollars (contre 2 000 dollars), pneus à 8 dollars (contre 200 dollars)...

Selon un sondage mené par le cabinet Ernst and Young auprès de 476 multinationales réparties dans 22 pays, cette stratégie serait utilisée par 77 % des entreprises sondées!


- une autre pratique : la corruption

Les sommes considérables qui transitent dans les paradis fiscaux peuvent également provenir de la corruption : le corrupteur, qui peut être un vendeur d’armes, ou une compagnie pétrolière en quête de permis d’exploitation, va ouvrir au corrompu, le décideur dont dépend la signature de son contrat, un compte bancaire dans un paradis fiscal.


- une autre pratique : cacher ses dettes

Cette méthode permet de faire apparaître aux investisseurs potentiels un bilan comptable plus sain, voire truquer purement et simplement ces comptes. Cette méthode a été utilisée par Vivendi Universal, Enron, Parmalat ou Worldcom : Enron avait ainsi 800 sociétés écrans dans des paradis fiscaux, dont 600 aux seules Iles Caïmans, avec une seule boîte postale! Parmalat a elle réussi à cacher 11 milliards d'euros de dettes par ce biais.


- les « professionnels » jouent aussi un rôle non négligeable dans l'utilisation des paradis fiscaux

Les banques ainsi en profitent ainsi pour récupérer des commissions liées à la commercialisation de leurs produits opaques : Citigroup a ainsi été mise en cause dans les affaires Enron et Parmalat, Chase Manhattan dans l'affaire Enron, la Deutsch Bank a elle monté un système organisé de fraude fiscale.

Les compagnies d'assurance dites captives sont des filiales d'assurance créées par les multinationales pour assurer toute ou partie de leur activité afin de s'auto-assurer, ce qui leur permet de payer moins de primes, notamment en les installant dans des territoires qui ont des contraintes réglementaires limitées.

Les professionnels du Droit sont les « ouvreurs de porte » vers les paradis fiscaux : ils profitent de leurs connaissances et des lacunes légales pour vendre à leurs clients des stratégies opportunes. Sont ainsi mis en cause les « Big Four », quatre grands entreprises du conseil international (Ernst & Young, KPMG, PricewaterhouseCoopers et Deloitte Touche Tohmatsu) qui sont à la fois des conseillers et contrôleurs de comptes – souvent les deux à la fois, au risque du conflit d'intérêt – des entreprises : ils contrôlent les 500 plus grosses multinationales dans ces deux domaines. Au-delà de ces cas, les banquiers d'affaire, avocats ou experts comptables sont mis en cause.


- divers autres pratiques

Certaines entreprises comme Microsoft profitent aussi de ces paradis fiscaux pour y dissimuler la rente que leur procurent leurs brevets : 500 millions de dollars annuels dans le cas de Microsoft, gérés par une entreprise située en Irlande.

Aux Etats Unis le « Foreign Sales Corporation » permet aux entreprises d'être plus compétitives à l'exportation, avec une défiscalisation possible pour l'exportation dans certains domaines, en passant par des paradis fiscaux (Barbade, Iles Vierges) : une évasion fiscale au nom de la compétitivité.

Les banques peuvent aussi profiter des paradis fiscaux pour solder leurs dettes comme l'a fait le Crédit Lyonnais, ou dissimuler une OPA.

Surtout les paradis fiscaux représentent une oasis pour le blanchiment de capitaux d'origine criminelle.


LE LIECHTENSTEIN

Si ce pays est un des plus petit en Europe, il s'agit aussi d'un des plus riche.

Ce pays se distingue tout d'abord par une fiscalité favorable (notamment sur les sociétés et sur les placements des non-résidents), par une stabilité politique (opposition politique et médiatique quasiment nulle), une réglementation financière et commerciale faible, des faibles moyens financiers et humains dévolus à la lutte contre le blanchiment. Cependant ce qui fait le dynamisme du Liechtenstein c'est avant tout son culte du secret bancaire : celui-ci fait parti de la loi sur la sécurité de l'Etat, voire de l'ordre public.

Le Liechtenstein se distingue aussi par les structures juridiques de certaines de ses entreprises qui garantissent l'anonymat. Ainsi les « Anstalt » sont des sociétés faciles à constituer et soumises à des obligations sociales quasiment nulles. Dans ces sociétés, le pouvoir est délégué à un homme de paille, ce qui permet de cacher les vrais ayants droits économiques (ce qui fut le cas dans l'affaire Elf). Le Liechtenstein se distingue aussi par ses sociétés de domiciliation, 75 000 au total, qui ne sont en fait que des sociétés « boîte aux lettres ».

Ce qui distingue aussi le Liechtenstein, c'est son absence de scrupules concernant l'origine des fonds selon le BND, services secrets allemands. Selon eux le pays recyclerait l'argent des mafias italiennes, russes et colombiennes, ce qui est d'autant plus facile que leur système protège l'identité des propriétaires des fonds.

Le rapport du BND dénonce aussi une collusion entre les criminels des cartels de drogue et certains notables de la principauté, avocats ou gérants de fiduciaires qui leur permettent ainsi de blanchir leurs capitaux.

En matière de coopération judiciaire le Liechtenstein est un des Etat les moins coopératif : les commissions rogatoires internationales donnent ainsi rarement suite. Pour ce faire les autorités se fondent sur la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 qui permet de fonder le refus d'une entraide judiciaire sur l'ordre public : selon le Liechtenstein le secret bancaire ferait donc parti de son ordre public. Par ailleurs les demandes d'entraides judiciaires sont soumises à un processus long et compliqué.

Enfin le Liechtenstein ne possède pas de fichier FICOBA (fichier national des comptes bancaires), et autorise l'ouverture de comptes au profit d'une autre personne : un avocat ou un gérant de fiduciaire peut donc ouvrir un compte au profit d'un de ses clients, celui-ci restant anonyme!

Depuis le Liechtenstein a fait des efforts législatifs, mais ceux-ci restent de façade et limités par une certaine mauvaise volonté politique et des acteurs économiques.

Pour résumer, le Liechtenstein se distingue par un culte du secret (que ce soit en matière bancaire ou dans la structure de certaines entreprises qui garantissent l'opacité), une mauvaise coopération judiciaire, une ouverture aux milieux criminels, et une collusion de certains notables locaux avec ceux-ci.


LA GRANDE BRETAGNE ET SES DEPENDANCES, GIBRALTAR

Londres est la première place financière du monde et se distingue par son caractère international.

Ce qui caractérise Londres, et la City, véritable Etat dans l'Etat, c'est avant tout la structure de ses sociétés, véritable passeport à l'opacité. Contrairement aux pays latins se fondant sur un certain formalisme, la Grande Bretagne et ses dépendances sont régis par la common law, qui permet à la fois de créer très facilement une entreprise, avec peu d'obligations sociales, et surtout une grande opacité de fonctionnement : ainsi les « trusts » permettent de garantir l'anonymat des ayants droits économiques, et sont parfois des sociétés écrans, des coquilles vides permettant de blanchir des capitaux (exemple l'ARC qui avait 2000 sociétés écrans à l'Ile de Man).

Par ailleurs la coopération est extrêmement compliquée : un magistrat raconte ainsi que pour faire une enquête il devait interroger la police britannique, qui interrogeait la police de la City (elle possède une police propre), qui devait interroger un avocat, qui interrogeait un banquier! Gibraltar ne répond jamais aux commissions rogatoires internationales, et la coopération des autres est faible (Man, Jersey, Guernesey...). Comme le Liechtenstein, la Grande Bretagne oblige les demandeurs d'une entraide judiciaire à avoir des preuves d'un fait délictueux afin de fournir des preuves de celui-ci...au mépris de la Convention de 1959, qu'elle a signée.

Le dispositif de lutte anti-blanchiment est aussi réduit : absence de moyens financiers et humains, faiblesse des poursuites et des condamnations, il se fonde surtout sur l'auto-régulation...

Par ailleurs ces Etats se caractérisent par le rôle des « ouvreurs de porte », à savoir le rôle de professionnels du droit qui profitent de leurs connaissances, des insuffisances législatives, et de leur caution pour introduire leurs clients vers les paradis fiscaux et le blanchiment de capitaux. Hors ces professions sont peu réglementées en Grande Bretagne.

De plus la Grande Bretagne n'a pas non plus de fichier FICOBA, et fonde le secret bancaire sur l'habeas corpus et l'exercice de la liberté individuelle.

Même situation dans les territoires d'outre-mer : Iles Caïmans, Iles Vierges, Bermudes, Turks et Cairos, Anguilla, Montserrat.

Cependant il y a eu une évolution depuis quelques années, notamment avec l'arrivée de Blair en Grande Bretagne. Cependant de peur d'effrayer les grosses fortunes, pas de révolution. Gibraltar a elle tout de même radié 20 000 sociétés fictives.

Pour résumer, les paradis fiscaux de la Couronne britannique se caractérisent par un droit des sociétés favorisant l'opacité et les sociétés écrans, une coopération judiciaire faible, et un dispositif interne de lutte contre le blanchiment réduit.


LE LUXEMBOURG

Le Luxembourg est aussi un des pays au monde qui possède le PIB par habitant le plus élevé.

Il se signale par les mêmes élèments que les autres paradis fiscaux et judiciaires : une fiscalité faible pour les non résidents; un culte du secret bancaire (considéré comme un droit de l'homme), la faiblesse des moyens financiers et humains de lutte contre le blanchiment (l'auto-régulation prime, et l'application du corpus législatif est freinée par la réticence des financiers).

Le Luxembourg se signale par sa capacité à créer des formes de sociétés génératrices d'opacité : les holdings 1929, les SOPARFI, les fiducies, les domiciliations de société, toutes soumises à un régime fiscal favorable et à un encadrement légal a minima (pas de registre central d'immatriculation des sociétés...), pain béni pour la constitution de sociétés écrans.

Par ailleurs, dans le rapport de la commission parlementaire sur le blanchiment de capitaux sur le Luxembourg (30 mars 2000), Joël Bucher, ancien directeur général adjoint de la société générale de la Société Générale interrogé sur l'affaire des rétrocommissions sur les frégates vendues à Taïwan indique que la Société Générale a ouvert des comptes au Luxembourg afin d'y verser les rétrocommissions (lors du passage d'un marché, celui-ci peut être facturé pour dégager une commission occulte, la rétrocommission est la partie de cette somme revenant vers le pays d'origine des versements). Il indique même que de nombreuses personnes conseillaient à ceux qui recevaient des commissions occultes d'ouvrir un compte au Luxembourg!

Ce même rapport relate aussi une enquête menée par le magazine Challenges en mars 2000 dont des journalistes indiquent à cinq banques luxembourgeoises qu'ils souhaitent placer 900 000 francs « au black ». A Cortal Bank, on lui conseille de placer la somme en plusieurs fois, grâce à quelques amis, afin d'éviter les problèmes. Au Crédit Lyonnais, on lui conseille de passer par un homme de paille pour faciliter la transaction. A la Société européenne de banque, no problem sur l'origine cachée des fonds.

Mais le Luxembourg c'est aussi le pays de Clearstream...afin de simplifier, dans cette affaire sont mis en cause le système informatique des transactions bancaires (SWIFT), la possibilité pour les banques – Clearstream n'est censé ne s'adresser qu'aux banques – d'ouvrir des sous-comptes qui permettent des transactions financières confidentielles, des dissimulations ou la constitution de caisses noires. Un ancien haut employé de Clearstream indique qu'on l'avait aussi chargé de faire du « hard coding », à savoir rectifier le programme source pour dissimuler des transactions. La Justice est censée être en charge du dossier.


LA PRINCIPAUTE DE MONACO

La Principauté se distingue elle aussi par une fiscalité allégée. Celle-ci fait notamment polémique car en vertu d'un accord fiscal de 1963 entre la France et Monaco, la France verserait annuellement des centaines de millions d'euros à la Monaco au titre de la répartition de la TVA! En gros le contribuable français paierait pour permettre aux Monégasques d'être un paradis fiscal au vu de la faiblesse voire de l'absence de certaines impôts...Cette aide publique au blanchiment est la première ressource budgétaire de la Principauté.

Est notamment mis en cause un mode de calcul contestable qui favorise Monaco : http://www.voltairenet.org/article8430.html, à voir aussi les arguments des autorités monégasques : http://www.gouv.mc/364/wwwnew.nsf/1909$/d79f49c076aef190c1256ff0002bcaecfr?OpenDocument&4Fr

Sinon l'opacité y est aussi de mise : formes de sociétés favorables à l'anonymat (trusts, sociétés de capitaux, fiducies), absence de fichier FICOBA, absence d'obligations à l'encontre des banques.

Les banques sont peu regardantes sur l'origine des fonds : la moitié des dossiers de renseignements concernant leurs clients sont soit vides, soit mal renseignés. Elles sont aussi favorables au silence et au secret.

La Justice est peu indépendante, victime de pression hiérarchique afin d'éviter que des condamnations judiciaires effraient les investisseurs. Peu de moyens financiers et humains (deux personnes seulement au SICCFIN pour contrôler 50 milliards d'euros d'avoirs!).

En matière de coopération internationale même chose : refus de traitement des commissions rogatoires internationales, au nom de l'ordre public.


LA SUISSE

La Suisse a une réputation bancaire ancienne. Mais a aussi quelques « casserolles » : financement des activités du Troisième Reich, refus de restituer les avoirs juifs après la Seconde guerre mondiale.

Le secret bancaire est une obligation professionnelle, pénalement sanctionnée. La fiscalité est favorable aux non-résidents (90 % des fonds déposés font l'objet de l'évasion fiscale de leur pays d'origine). Elle connait aussi des sociétés favorables à la dissimulation de fonds (fiducies). Comme les autres paradis fiscaux et judiciaires elle a une législation de façade, et consacre peu de moyens financiers et humains à la lutte anti-blanchiment.

Les banques sont aussi mises en cause : elles se régissent par l'auto-régulation, sont peu actives (elles peuvent accepter l'argent du crime ou ceux de dictateurs).

En matière judiciaire, la division par cantons ne facilite pas la tâche, en matière de coopération judiciaire, la procédure est complexe, avec beaucoup d'intervenants, elle n'hésite pas à refuser la coopération en se fondant sur une exception au principe posé par la Convention de 1959 : les infractions fiscales.


POINTS COMMUNS DES PARADIS FISCAUX

Hormis ces états européens sur lequel on insiste au motif de leur proximité et que cette filière est peu évoquée, les autres paradis fiscaux ont diverses spécialités : assurance et réassurance (Bermudes), l'e-commerce (Bahamas), les fonds d'investissements (îles Caïmans), la domiciliation d'entreprises (Iles Vierges), les exportations américaines (la Barbade), le droit de propriété intellectuelle (Irlande), pavillons de complaisance (Libéria).


En tout cas comme on le voit les paradis fiscaux partagent beaucoup de points communs.


- tout d'abord l'opacité : opacité dans la formes des entreprises qui permettent de dissimuler les ayants droits économiques et font fonction de sociétés écrans facilitant le blanchiment de capitaux; opacité aussi dans le culte du secret bancaire; opacité aussi dans les règles a minima de création et de vie des sociétés

- ensuite une défense de cette opacité : par le manque de coopération internationale, au mépris de leurs engagements conventionnels parfois; par un manque de moyens financiers et humains dans la lutte anti- blanchiment; un manque de volonté évident de la part des intermédiaires financiers

- une fiscalité basse

- notons cependant que les initiatives françaises, européennes et internationales ont engendré une évolution législative de la part de beaucoup de pays, encouragé par l'atteinte à la réputation de leur place financière, même si cette évolution est bien souvent de façade. Reconnaissons à l'Europe et notamment à la France un rôle moteur en la matière


DES SOLUTIONS CONTRE LES PARADIS FISCAUX

Depuis la mobilisation du début des années 2000, il y a eu quelques avancées : de nombreux Etats ont fait des efforts pour instituer plus de moyens dans la lutte contre le blanchiment de capitaux, légiférer sur certaines sociétés opaques ou coopérer judiciairement.

Cependant ces évolutions sont souvent des évolutions de façade : le système n'a pas été remis en cause, quelques Etats insignifiants ont servis de bouc-émissaires, le secret bancaire est toujours en place dans certains Etats, et la législation est souvent lacunaire.


Un dipositif existe déjà au niveau international : le GAFI a établi 49 recommandations et une liste noire, l'OCDE et l'ONU travaillent aussi sur ce point, tout comme le Forum de stabilité financière établi par le G8.

Divers solutions sont envisageables autour de certains axes :


- harmoniser

Il convient d'harmoniser la fiscalité (par le biais notamment de la directive européenne sur l'épargne dont le champ limité doit être étendu et s'occuper du problème de la taxation de l'épargne des non résidents,) afin de prévenir de la concurrence fiscale entre Etats.

Il convient aussi d'harmoniser la légalité, notamment le droit des sociétés et le droit des affaires. Pour le droit des sociétés il faut légiférer sur les sociétés opaques (trusts, fiducies, anstalt, holdings, sociétés de domiciliation...) : une charte internationale, avec des normes minimales est ainsi envisageable. En cause : identifier les ayants droits économiques et prévenir l'anonymat et l'opacité, et un minimum de vie sociétale : le déroulé d'assemblées générales, la publication de comptes, l'obligation d'immatriculation ou l'inscription sur un registre central. Il serait nécessaire aussi d'harmoniser le droit pénal : pour certains l'évasion fiscal ou la fraude ne sont pas considérés comme délictueux.

Il convient aussi de permettre la levée du secret bancaire en cas de demande de coopération judiciaire internationale et de lever les conditions supplémentaires excédant la convention européenne de 1959. Il faudrait aussi généraliser les fichiers bancaires de type FICOBA.


- réguler

Il convient aussi de réguler l'activité économique dans certains domaines : afin de contrôler le capitalisme, il faudrait imposer un minimum de règles économiques.

Il s'agit tout d'abord de règlementer les différentes professions susceptibles de faciliter l'accès aux paradis fiscaux; il convient aussi d'instituer un contrôle plus rigoureux des comptes des entreprises, avec l'obligation que leur certification de comptes, obligation en cas de cotation boursière, s'étendent à l'ensemble de leur activité (même à des territoires exotiques); il convient de contrôler plus sérieusement les transactions avec les banques de compensation (Clearstream, Euroclear, SWIFT...).


- sanctionner

Le magistrat Jean de Maillard affirmait que les paradis fiscaux voulaient organiser un « monde sans loi ». Il appartient donc de sanctionner les différentes dérives.

Cela passe déjà par une responsabilisation accrue des différents acteurs économiques en étendant l'obligation de déclaration de soupçon à plus de professions, étendre l'obligation de vigilance en pénalisant la négligence.

Concernant les autorités de contrôles existants : il convient de judiciariser TRACFIN, d'accroître les pouvoirs du GAFI (et que sa liste soit plus crédible : la Suisse a présidé le GAFI en 1992), afin que ses normes aient un caractère impératif.

Il convient surtout d'internationaliser la justice : instituer une autorité mondiale de régulation afin d'avoir une régulation transnationale, favoriser la coopération internationale.

Il faut aussi dépasser le stade de l'autorégulation et aller vers une plus grande sanction; il faut mettre plus de moyens financiers et humains dans la lutte contre le blanchiment de capitaux. Il est possible aussi de sanctionner les pays non-coopératifs en instituant une taxe dans les transactions avec elles.

Il convient (à terme...) d'interdire aux banques françaises d'avoir des filiales dans les paradis fiscaux, de sanctionner les firmes passant par eux en les interdisant de marchés publics, de garantie publique (COFACE).


Grâce aux pressions conjuguées de la France, de l'Italie, de l'Union européenne, du GAFI, de l'OCDE, de l'ONU ou du G8, il y a eu d'importantes évolutions dans les paradis fiscaux, mais rappelons-le ces évolutions sont souvent de façade et les « attaques » contre les paradis fiscaux ont souvent visé des pays marginaux, qui firent offices de bouc-émissaires, alors que les plus puissants passaient entre les mailles du filet.

D'un point de vue judiciaire, la Cour de justice européenne a mis en cause les montages artificiels liés à l'utilisation des paradis fiscaux (arrêts Halifax en avril 2005, Cadbury Schweppes en mai 2006, confirmés en 2007).

Malgré ces évolutions, le système n'a pas été fondamentalement remis en cause. Il convient donc de continuer le travail. Un travail long, mais comme le disait Saint Just, « il n'y a que ceux qui sont dans les batailles qui les gagnent ».

mardi 4 décembre 2007

LA CINQUIEME REPUBLIQUE : UNE ANOMALIE CONSTITUTIONNELLE EN EUROPE

Dans « Ainsi parlait Zarathoustra », Friedrich Nietzsche affirmait qu’il existe trois types d’hommes: les chameaux qui subissent docilement l’ordre établi, les lions dont l’action se limite à sa contestation et les enfants qui n’ont pas besoin de s’opposer à celui-ci pour affirmer leurs valeurs.

Les partisans d'une Sixième République ne doivent pas se contenter de demeurer dans la posture du lion nietzschéen en se limitant à émettre des critiques prononcées sur le régime de la Cinquième République. Au contraire ceux-ci doivent s’ouvrir sur le monde qui lesentoure afin d’y trouver matière à enrichir le débat institutionnel en France et ainsi de proposer sans s’opposer.

A ce titre l’étude des constitutions de diverses démocraties européennes s’avère nécessaire afin de faire une comparaison avec notre actuelle Constitution et celle que nous proposons.

Dans le cadre de cette étude, nous nous limiterons à l’étude de trois pays: l’Espagne (I), l’Allemagne (II) et l’Italie (III).


I- La Constitution espagnole.

A- Description des institutions espagnoles.

La Constitution espagnole a été rédigée en 1978 et est très marquée par sa volonté de tourner la page du franquisme. D’où l’importance accordée aux droits et devoirs fondamentaux, et aux libertés publiques (55 articles): sont ainsi constitutionnalisés le pluralisme politique, le pluralisme religieux, la liberté de se syndiquer ou de s’associer et surtout la faculté pour les citoyens de réclamer leur application devant la Justice. Le système est une monarchie parlementaire où la reconnaissance des pouvoirs locaux est prononcée.

Concernant le pouvoir exécutif, il s’agit d’une dyarchie inégalitaire composée par le Roi et par le Président du Gouvernement.

Le Roi obtient son pouvoir de manière héréditaire. Selon l’article 56 de la Constitution, ses prérogatives sont d’être le chef de l’État, le symbole de son unité et de sa permanence, l’arbitre et le modérateur du fonctionnement régulier des institutions ainsi que de représenter l’Espagne à l’étranger. Par ailleurs il nomme les ambassadeurs et les diplomates. Il ne possède aucun pouvoir propre puisque tous ses actes doivent être contresignés par le Président du Gouvernement ou le ministre compétent (art 64). Enfin le Roi doit prêter serment à sa proclamation (art 61).

Sachant que les élections se font selon le scrutin proportionnel, le Président du Gouvernement est nommé à la majorité absolue puis à la majorité simple. Il est investi par le vote d’une déclaration de politique générale au Parlement. Le Gouvernement est chargé de la politique intérieure, extérieure et administrative (art 97). Sa responsabilité pénale ne peut pas être l’objet d’une grâce royale (art 102) et il et assisté du Conseil d’État.

Le Gouvernement est responsable devant une seule chambre, le Congrès des Députés, qui peut demander des informations à celui-ci (art 109), voter une motion de censure (art 113).Le Président du Gouvernement peut dissoudre le Parlement (art 115).

Le pouvoir législatif est exercé par deux chambres aux pouvoirs inégalitaires: le Congrès des députés et le Sénat qui possèdent les pouvoirs législatifs, budgétaires et le contrôle de l’action gouvernementale (art 66), le Congrès est élu pour quatre ans, au scrutin universel direct proportionnel dans un cadre provincial.

Le Sénat est l’organe de représentation des territoires: chaque province compte quatre sénateurs, les grandes îles trois, Ceuta et Melilla deux. Ensuite les communautés autonomes élisent un sénateur de plus pour chaque million d’habitant qu’il compte.

Le parlementarisme est rationalisé: son pouvoir est subsidiaire puisque celui des communautés autonomes prime (art 74). L’initiative des lois appartient aux deux chambres, au Gouvernement, aux communautés autonomes ainsi qu’au Peuple qui peut soumettre des textes de loi signés par 500 000 citoyens (art 87). Le Congrès prime le Sénat: tout texte qui est transmis au Sénat doit être voté, amendé ou donner lieu à un veto sous deux mois (art 90).

L’activité du Gouvernement est encadrée: les délégations de pouvoir (ordonnances) faites par le Parlement doivent être explicites et respecter des conditions restrictives. Une Commission d’enquête est aussi instituée.

Au sujet du pouvoir judiciaire, les conditions d’avancée et de fin de fonction des juges et des magistrats sont encadrées afin d’assurer leur indépendance et éviter les pressions (art 117), la gratuité de la justice est assurée pour les moins nantis (art 119), les erreurs judicaires doivent être réparées par l’État (art 121). L’autorité supérieure est le Tribunal suprême dont les membres sont nommés par le Roi sur proposition du conseil général du pouvoir judiciaire, dont ses membres à lui doivent être des juges ou des avocats ayant plus de quinze ans d’expériences professionnelles.

Le Tribunal constitutionnel contrôle l’application de la Constitution. Ses membres doivent être des juristes ayant plus de quinze ans d’expériences. Ses pouvoirs sont étendus (art 161), les recours individuels des citoyens sont possibles, ses décisions et ses désaccords internes sont publiés au JO.

Il existe divers contre-pouvoirs: la Cour des Comptes qui publie un rapport annuel et dont l’indépendance et l’inamovibilité des membres est garantie (art 136); le Peuple qui peut soumettre des lois et intervient par référendum. Il s’agit surtout des collectivités territoriales dont l’autonomie, notamment financière est reconnue, et qui doivent respecter un principe de solidarité entre elles. Ses compétences sont explicitement reconnues; son action est contrôlée par divers organes étatiques; elles peuvent lever des impôts, contracter des crédits et détenir un patrimoine.

B- Les éléments d’intérêt de la Constitution espagnole.

La répartition des pouvoirs entre les organes du pouvoir exécutif est intéressante: les pouvoirs du Roi pourraient correspondre à ceux du Président de la Sixième République, à la différence près que ses pouvoirs ne se transmettraient pas de manière héréditaire… L‘obligation de prêter serment est également positive. Par ailleurs, il conviendrait d’accroître les pouvoirs du Premier Ministre.

Les pouvoirs de contrôle et l’obligation de transparence sont importantes: Commission d’enquête parlementaire, demande d’audition de membres du Gouvernement par le Parlement, saisine possible du Tribunal Constitutionnel par les citoyens qui peuvent aussi avoir l’initiative de lois.

Plus généralement on peut signaler une régionalisation importante (les régions ont l’initiative de lois) qui tranche avec le parisianisme de la politique française, l’encadrement des ordonnances gouvernementales, le délai de deux mois imposé au Sénat pour voter ou rectifier des lois, les limites au droit de grâce, l’obligation d’être juriste et d’avoir une expérience professionnelle conséquente pour siéger dans certaines hautes juridictions, la gratuité de la justice pour les moins nantis, les rapports annuels de la Cour des comptes, le contreseing de tous les actes royaux.


II- La Constitution allemande.

A- Description des institutions allemandes.

A l’exemple de la Constitution espagnole, marquée par une réaction au franquisme, la Constitution allemande est une réaction au nazisme. Ainsi les Droits fondamentaux sont reconnus aux articles 1 à 19 (liberté de la presse, d’association, droit de pétition, droit de résistance à ceux qui renversent l’ordre étatique). L’Allemagne est composée de la fédération et des Länder, est un État fédéral, démocratique et social. Le Droit fédéral prime le droit des Länder (arts 30 et 31).

Le Parlement est composé de deux chambres: le Bundestag et le Bundesrat.

Les membres du Bundestag sont nommés pour quatre ans au suffrage universel direct, au-delà de ses pouvoirs législatifs et budgétaires, il possède une Commission d’enquête (art 44), une Commission des affaires de l’Union Européenne (art 45).

Les membres du Bundesrat sont les membres des gouvernements des Länder qui les nomment et les révoquent. Chaque Länder possède de trois à six voix en fonction de leur grandeur.

Afin de préserver de toute instabilité ministérielle, on ne connaît que trop leurs conséquences tragiques au cours de l’entre-deux guerres, les américains à l’origine de cette Constitution ont établi un parlementarisme rationalisé: la motion de défiance constructive est possible (art 67), les matières législatives sont limitées « rationae materiae » (arts 71à 75), le Bundesrat a six semaines pour s’exprimer sur un texte (art76).

Le pouvoir exécutif est détenu par le Président fédéral et le Gouvernement fédéral (notamment par le Chancelier).

Le Président est élu au suffrage universel indirect par un collège composé des membres des deux Chambres, auquel s’ajoutent un nombre égal de membres élus à la proportionnelle par la représentation du peuple des Länder. Il est élu à la majorité absolue puis à la majorité simple au bout de deux tours infructueux, il est élu pour cinq ans renouvelables une seule fois. Il doit prêter serment (art 56); il ne possède pas de pouvoirs propres car tous ses actes doivent être contresignés par le Chancelier ou par un ministre. Ses pouvoirs se limitent à la simple représentation internationale de la Fédération, à la seule signature des traités, à la nomination des juges et des diplomates. Sa responsabilité peut être mise en cause pour violation de la Loi fondamentale ou de la Constitution (art 61).

Le Gouvernement fédéral est dirigé par un Chancelier. Il est nommé par le Bundestag à la majorité absolue puis simple sur proposition du Président fédéral. Le Chancelier fixe les grandes orientations de la politique. Chaque ministre est autonome dans ses fonctions (art 65).

Concernant le pouvoir judiciaire, il est exercé par la Cour constitutionnelle fédérale et par les Cours constitutionnelles. La Cour constitutionnelle peut être saisie par des citoyens et par des communes, l’indépendance des juges est reconnue (art 97), le juge peut demander le contrôle de la constitutionnalité d’un texte en le transmettant à la Cour constitutionnelle (art 100), l’article 103 a intégré en droit allemand le concept de « bon procès » reconnu par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et du citoyen.

Enfin, à l’exemple des communautés autonomes espagnoles, les Länder possèdent des pouvoirs importants; le Peuple par contre n’a pas le droit au référendum en vertu d’un adage américain de 1945 selon lequel le Peuple allemand serait un Peuple de sauvages dont il faudrait se protéger. Citons par ailleurs, l’article 115 qui énonce les principes applicables en cas de guerre, à savoir le maintien de la légalité républicaine, la constatation par le Parlement de l’état d’agression et le transfert au Chancelier des pouvoirs militaires.

B- Les éléments d’intérêt de la Constitution allemande.

Il s’agit tout d’abord des pouvoirs de contrôle du Parlement par le biais des Commissions d’enquête et des affaires européennes, d’une répartition claire des fonctions au sein de l’Exécutif, d’une responsabilité importante du Président fédéral (à la différence de la France où le Président a les pouvoirs sans responsabilité alors que le Premier Ministre a la responsabilité sans les pouvoirs) qui doit prêter serment à son entrée en fonction, l’article 115 qui définit un régime en cas de guerre alors que la Sixième République se contente d’abroger l’article 16 de la Constitution de la Cinquième République sans rien prévoir en remplacement. Citons aussi l’article 103 qui reconnaît le concept de bon procès ou l’article 97 qui reconnaît l’indépendance des juges.


III- La Constitution italienne.

A- Description des institutions italiennes.

La Seconde guerre mondiale n’a pas engendré que des morts, elle a aussi engendré des Constitutions puisque la Constitution italienne se veut comme une rupture vis-à-vis du fascisme mussolinien. Ainsi la Partie I énonce les droits et devoirs fondamentaux tels que les soins gratuits (art 32), le droit aux bourses d’étude (art 34), l’égalité homme-femme (art 37) ou majeurs-mineurs ou valides-invalides dans la vie professionnelle (art 37 et 38), le droit de pétition (art 50), le caractère progressif des impôts (art 53).

Le Parlement se compose d’une Chambre des députés et du Sénat de la République.

La Chambre des députés est élue au suffrage universel direct tout comme le Sénat mais lui est élu sur une base régionale. Tous les anciens Présidents de la République sont nommés sénateurs à vie sauf s’ils y renoncent, des personnes peuvent aussi être nommées en vertu de leurs « mérites exceptionnels ». Ses membres ont élus pour cinq ans, qui peuvent être prorogés en cas de guerre.

Les deux chambres ont l’initiative législative, en concurrence avec le Gouvernement et le Peuple (50 000 citoyens), 500 000 personnes peuvent faire abroger une loi en signant une pétition (art 75), les ordonnances gouvernementales sont strictement encadrées (art 76 et 77), en cas de guerre les deux Chambres reconnaissent l’état de guerre et délèguent les pouvoirs nécessaires au Gouvernement (art 78), un pouvoir d’enquête leur est aussi reconnu (art 82).

Le pouvoir exécutif est attribué au Président de la République et au Gouvernement (notamment au Président du Conseil).

Le Président de la République est élu par les deux chambres réunies du Parlement, auxquelles s’ajoutent des délégués régionaux, à la majorité des deux tiers de l’Assemblée, puis à la majorité absolue au troisième tour, il est élu pour sept ans, doit avoir plus de cinquante ans. Le Président est le Chef de l’Etat, garant de l’unité nationale, a un pouvoir de nomination, est le chef des armées et dirige le Conseil Supérieur de la Magistrature, a le droit de grâce, le droit de dissolution d’une ou deux chambres. Tous ses actes sont contresignés, il peut être poursuivi en cas de haute trahison ou d’attentat à la Constitution, doit prêter serment (art 91).

Le Gouvernement est dirigé par le Président du Conseil qui doit prêter serment et dirige la politique générale et garantit l’unité d’orientation politique; si le Parlement souhaite le renverser sa motion doit être motivée. Il est assisté du Conseil d’Etat et par le Conseil national de l’économie et du travail.

Pour le pouvoir judiciaire, les magistrats sont autonomes, indépendants (art 104) et inamovibles (art 107), le Conseil supérieur de la Magistrature est élu à un tiers par des parlementaires et à deux tiers par tous les magistrats judiciaires, ses membres doivent être des professeurs de droit ou des avocats ayant au moins quinze ans d’activité. L’article 111 intègre dans la Constitution les principes du juste procès.

Une Cour constitutionnelle est établie dont un tiers des membres sont nommés par le Président, un tiers par le Parlement, et un tiers par les magistrats suprêmes; ses membres doivent être des avocats et des professeurs de Droit ayant plus de vingt ans d’expérience; le Président est renouvelable tous les trois ans. Lorsqu’une loi est déclarée inconstitutionnelle,celle-ci perd automatiquement tout effet.

Les Régions, Provinces et Communes ont eux des pouvoirs mais subsidiaires (art 136).

B- Les éléments d’intérêt de la Constitution italienne.

Concernant les contre-pouvoirs, le Peuple a l’initiative de lois et peut abroger des lois; le Conseil Supérieur de la Magistrature est nommé partiellement par des magistrats, le concept de juste procès est constitutionnalisé.

En matière de contrôle, il y a une Commission d’enquête parlementaire, et les deux personnages de l’Exécutif doivent prêter serment.

Techniquement l’article 78 relatif à l’état de guerre est nécessaire, l’élection du Président au deux tiers des voix du collège électoral incite au consensus politique et à une dépolitisation de sa fonction, quant à l’obligation de motiver une motion de censure elle est utile.

lundi 26 novembre 2007

LA SIXIEME REPUBLIQUE: UNE PHOTOCOPIE DE LA QUATRIEME REPUBLIQUE?

Parmi les arguments des adversaires de la Sixième République, il en est un qui est revient souvent : le système de la Sixième République ne serait qu’une pâle copie du système de la Quatrième République qui a brillé par sa brièveté (douze ans de durée de vie), son instabilité politique et ses atermoiements en matière de politique internationale.

Face à ces contre-vérités diffusées par des personnes qui ne connaissent ni le système de la Quatrième République ni celui de la Sixième République et qui s’érigent pourtant en brillants juristes, il convient d’opposer la réalité des faits et la réalité des textes.

Tout d’abord le contexte est totalement différent car la France vivait alors une période très troublée : ainsi en matière internationale la France sortait à l’époque de la Seconde Guerre Mondiale, connaissait des troubles dans ses colonies (évènements à Madagascar et en Algérie, guerre en Indochine), a été humiliée par l’affaire du canal de Suez, alors que la décolonisation et la Guerre Froide s’engageaient; en matière politique le parti communiste était à 30 %, nombreux s’unissaient contre de Gaulle, et le pouvoir se partageait entre communistes, SFIO et Républicains populaires qui monopolisaient le pouvoir par l‘union sacrée. Un contexte que la France actuelle ne connaît heureusement pas.

Concernant le régime politique les deux systèmes s’opposent : alors que la Quatrième République proposait un régime parlementaire où l’Assemblée Nationale dominait largement toutes les autres institutions, la Sixième République propose un régime primo ministériel où, à l’exemple des autres démocraties européennes, le Premier Ministre est le personnage majeur de la vie politique.

Pour ce qui est du Parlement, celui-ci possède nettement moins de pouvoirs que celui de la Quatrième République. Ainsi la Sixième République confirme une pratique de la Cinquième République que l’on appelle le parlementarisme rationalisé, qui consiste à encadrer le travail législatif: alors que la Quatrième République donnait au Parlement une totale liberté législative en matière financière (article 17), la Sixième exige que toute dépense soit compensée (art 54); alors que l’ordre du jour était partagé avec le Président du Conseil à son profit, la Sixième ne lui accorde que 25 % des séances consacrées à l’ordre du jour fixé par les parlementaires (art 64); si la Quatrième République donnait au Parlement le monopole en matière de lois, sans accorder de limites quant à ses matières, conformément à la Cinquième République la Sixième limite le domaine des lois à un nombre déterminé de matières (art 45), le reste relevant du pouvoir règlementaire qui appartient au Gouvernement (art 50), le non-respect de ce principe frappant d’irrecevabilité le texte en cause (art 55).

Le Parlement voit par ailleurs ses prérogatives diminuer : il ne possède plus le monopole législatif puisque les ordonnances gouvernementales sont autorisées (article 52), le nombre de Commissions parlementaires passe de 19 à 10, le Président de la République possède le droit de dissolution (art 13), ce qui n’était pas le cas sous la Quatrième, le cumul des mandats est prohibé (art 59) et les pouvoirs du Sénat sont renforcés car sous la Quatrième le Conseil de la République, son ancêtre, n’avait qu’un pouvoir purement consultatif.

Enfin la stabilité du régime est accru : alors que les élections se faisaient à la proportionnelle sous la Quatrième, facteur d’instabilité et de morcellement des forces politiques, celles de la Sixième se font au scrutin majoritaire à deux tours qui engendrent plus de stabilité, des majorités claires et une bipolarisation de la vie politique. Par ailleurs il confirmera le fait majoritaire en place en France depuis 1962 et qui fait que le groupe politique dominant au Parlement est de même couleur politique que le Premier Ministre, ce qui engendre une complicité dans leur travail et préserve des conflits entre eux. Enfin le concept de motion de censure constructive (art 67) oblige l’opposition à s’organiser, à être crédible et rassembleuse.

Au sujet de l’Exécutif, conformément à la tradition de la Cinquième ses pouvoirs sont renforcés.

Ainsi le Président qui ne possédait qu’un pouvoir de nomination et possédait peu de pouvoirs propres, puisque tous ses actes devaient être contresignés par le Président du Conseil ou un ministre (article 38), voit ses pouvoirs considérablement augmenter: il se voit ainsi attribuer un rôle d’arbitre (art 6), possède des pouvoirs propres, et de nombreux pouvoirs majeurs partagés (dissolution, initiative référendaire, politique internationale…); son prestige et sa légitimité sont augmentés par l’élection au suffrage universel, alors que celle-ci se faisait au suffrage universel indirect par un vote de l’Assemblée Nationale, par l’obligation de prêter serment à sa nomination (art 6), par son interdiction de se représenter qui évite les mandats de gestion en vue d‘une réélection, et par l’élection à deux tours qui lui confère son caractère de Président de tous les Français et pas seulement de chef du parti ayant gagné les élections.

Le Premier Ministre voit aussi ses attributions accroître: pouvoir de dissolution, initiative référendaire, droit de grâce, pouvoirs de nomination, prérogatives internationales…

Concernant les contre-pouvoirs, essence de la démocratie selon Alain, ceux-ci voit leurs facultés de contrôles devenir effectives.

Sous la Quatrième, l’indépendance de la Justice n’était pas réelle:le Président de la République dirigeait le Conseil Supérieur de la Magistrature, nommait les magistrats, et contrôlait même la constitutionnalité des lois. Dans la Sixième République, le contrôle de la constitutionnalité des lois se fait par la Cour Constitutionnelle et les juges, les procureurs sont élus par les citoyens, la nomination des magistrats est contrôlée, le droit de grâce est partagé, l’échevinage qui permet à des citoyens d’assister des juges au jugement permet un contrôle de la Justice, et l’importance de deux institutions (Cour Constitutionnelle et Conseil Supérieur de la Justice) permettent d’assurer une autonomie au pouvoir judiciaire. Enfin les critères du « bons procès », posés par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et du Citoyen, sont constitutionnalisés (art 85).

Les autres contre-pouvoirs possèdent eux aussi un pouvoir de contrôle réel: le Sénat possède beaucoup plus de pouvoirs que le Conseil de la République, le Conseil économique et social, dont le pouvoir de contrôle était facultatif sous la Quatrième, voit ses prérogatives accrues. La Cour des Comptes doit être consultée impérativement pour le budget (art 62), le financement de la Sécurité Sociale (art 63) et évalue les politiques publiques (art 97). L’Union européenne voit ses textes de loi reconnus (art 2) et avoir force de loi. Le Peuple possède aussi plus de pouvoirs: initiative référendaire (art 12) ou législative (art 53), droit de pétition locale (art 11).

Plus généralement la Sixième République poursuit deux buts: la moralisation et la transparence.

Pour ce qui est de la moralisation elle se distingue par un accroissement de la responsabilité pénale des élus.

Concernant la transparence elle se caractérise par la possibilité pour le Parlement d’auditionner des ministres (art 69 qui reprend le concept anglais d’«accountability »), la reconnaissance d’une Commission de contrôle et d’enquête, une autre contrôlant la politique européenne, et la création d’une Commission des finances dirigée, comme en Grande Bretagne, par un membre de l’opposition (art 32).

samedi 17 novembre 2007

JUSTICE FRANCAISE : L'INSECURITE EST AILLEURS

Outreau. Si l'émotion dégagée par ce procès a été unanime en France, le diagnostic réalisé par l'opinion publique est un peu plus contestable. Selon celle-ci ce fiasco serait le fait des défaillances individuelles d'un seul homme, le Juge Burgaud. Cependant une étude plus poussée de la situation de la Justice en France démontre que cette sombre affaire n'est que la partie immergée d'un iceberg: un rapport de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice - la CEPEJ - classait la France 23ème état européen sur 25 sur divers critères (budget, personnel,accès à la justice de ses citoyens, moyens matériels...).
Au vu de cette situation, les gesticulations d'un certain ex-Ministre de l'Intérieur pour poursuivre les racailles de banlieue et les juges défaillants peuvent paraître illusoires voire ridicules car ces comportements sont les conséquences logiques d'un état de délabrement de l'institution judiciaire. Ces gesticulations sont aussi inquiétantes dans la mesure où la Justice est un des dernier contre-pouvoir de nos institutions, un des dernier rempart contre l'arbitraire étatique et l'injustice dans un système juridique rousseauiste où on sacralise la Loi.
Beaucoup plus que des paroles les chiffres concernant la justice française démontrent son caractère catastrophique (§1). D'autres indicateurs attestent de sa médiocrité: l'insécurité qu'elle engendre (§2), la difficulté notamment financière à y accéder (§3), sa dépendance vis-à-vis de certains pouvoirs notamment politiques (§4). Malgré tout, des axes d'améliorations sont envisageables (§5).


La Justice française en budget et en chiffres.


Il est impossible d'exercer une saine justice sans hommes susceptibles de l'assurer. Hors, la France souffre d'un manque de personnel: il y a ainsi 7 500 magistrats pour traîter 5 millions d'affaires par an, 250 juges d'application des peines pour traîter 180 000 dossiers, 569 juges d'instructions pour 35 000 affaires. Entre 1867 et 1997 le nombre de magistrats n'a pas varié alors que la population française a doublé! Face à ces problèmes d'effectifs les conséquences sont évidentes: les magistrats sont recrutés à la sortie des écoles, sont parfois jeunes et inexpérimentés. Par ailleurs la France connait la charge de travail judiciaire la plus lourde de l'Union Européenne après la Norvège.
La France ne consacre que 1,6 % de son budget soit 0,6 % de son PIB à sa justice, ce qui la classe au 23ème rang sur 25 en Europe. Ces problèmes de budget affectent les interlocuteurs de la Justice: ainsi à Perpignan 600 expertises sont en attente de paiement, au niveau national de nombreux médecins légistes connaissent aussi des retards de paiement.
Ainsi à Bobigny en 2001 il y avait 25 000 affaires en attente d'enregistrement, 18 000 dossiers étaient effectivement traîtées par les juges (soit 1 600 par personne), les crimes étaient jugés trois ans après leur réalisation.

Au-delà de ces problèmes financiers et humains, la France connaît des problèmes dans le temps de gestion des dossiers: à Reims le traitement du courrier avait quatre mois de retard en 2001. Ainsi Mario-Luis Cragheiro, vice-président du Tribunal Correctionnel de Reims confesse que malgré des semaines de 60 heures de travail il n'approfondit pas ses dossiers pour éviter de finir chaque jour à cinq heures du matin. Nombre de juges et de magistrats affirment lire en diagonale leurs dossiers, ne plus avoir le temps d'étudier les nouveaux textes juridiques. La France a ainsi été condamnée de nombreuses fois par la Cour de Justice de la Communauté Européenne pour la lenteur de sa justice: un an en moyenne pour un dossier contre un mois et demi en Grande-Bretagne...
Le salaire moyen d'un magistrat est de 23 800 euros annuels contre 77 200 au Danemark.


L'insécurité dans les Tribunaux: pire que dans les banlieues françaises!

Dans un récent sondage, 57 % des Français interrogés avouaient que le premier sentiment que leur inspirait leur Justice était...la peur. En effet, si l'opinion publique s'est focalisée sur le procès d'Outreau, celle-ci ne se rend pas encore compte de l'état pitoyable de sa justice, véritable bourgeon d'Outreaux futurs.
Rappelons les rapports publiés par le Conseil de l'Europe et la Commission européenne pour l'efficacité de la justice ont classé la France 23ème pays européen sur 25 concernant divers critères judiciaires (budget, accès à la justice, personnel...). Les chiffres sont plus qu'éloquents: elle consacre 28,35 € par habitant et par an à sa justice, contre 53,13 € en Allemagne ou 64,41 € au Portugal; possède 0,5 procureur pour 20 000 habitants contre 1,5 en Allemagne, et 10,37 juges professionnels pour 100 000 habitants contre 25,3 en Allemagne.

Ces problèmes financiers et de personnels font qu'il est devenu plus dangereux d'entrer dans un tribunal que dans n'importe quelle banlieue française.
Ainsi en 2005, la Justice française a accordé plus de 585 années de prisons à des innocents: la détention préventive qui consiste a incarcérer une personne qui n'a pas encore été jugée concerne 35 à 40 % de la population carcérale française (contre une moyenne européenne de 20 %). Nul n'est à l'abri de l'erreur judiciaire.
Même si la gauche a tenté d'encadrer ses pouvoirs entre 1997 et 2002 (en imposant un contrôle de ses actes et une obligation de motiver de ceux-ci), le juge d'instruction, qui est à la fois enquêteur et arbitre du procès, continue d'exercer des pouvoirs exorbitants. Cette déviance est accrue par le système inquisitoire à la française qui, contrairement au système accusatoire, donne un monopole au juge dans le procès, au détriment du justiciable.
La loi Perben II a accru ces atteintes au droit de la défense et aux Libertés publiques en instaurant le plaider coupable. Celui-ci supprime le recours protecteur de la Justice et du procès en lui substituant la négociation directe juge-accusé. Cette relation forcément déséquilibrée instaure un Etat d'exception permanent, qui fait penser à l'Etat d'urgence sous l'Apartheid en Afrique du Sud qui permettait de suspendre la Constitution et la Loi lorsque la Patrie s'estimait en danger. Un de ces état d'urgence a duré deux ans...

Au-delà de cette insécurité juridique, il existe aussi une insécurité financière: la loi organique relative aux lois de finances impose aux tribunaux une culture de gestion digne des meilleures multinationales. Ainsi en 2006 elle a attribué à la Justice un budget de 370 millions d'euros, alors que celle-ci table sur des dépenses de 600 millions d'euros! Du coup les tribunaux vont devoir contrôler leurs frais de justice, sachant que ceux-ci devront être estimés a priori (invitons les juges à consulter Elisabeth Teissier pour savoir si un deuxième AZF - 1,5 millions d'euros de frais d'expertise - n'apparait pas dans les astres) et que ces crédits seront limitatifs, donc impossibles à augmenter en cours d'année. Déjà dans plusieurs villes des experts et des médecins légistes ne sont plus payés depuis des mois (cf supra). En outre, une culture du productivisme à faire pâlir toute usine se développe dans les tribunaux.

Afin de lutter contre cette insécurité dont Walker Texas Sarkozy ne parle jamais, il convient de réserver la détention provisoire aux individus dangereux ou susceptibles de supprimer des preuves, d'encadrer et de contrôler les jeunes juges et les juges d'instruction, d'augmenter les moyens financiers et humains, d'évaluer les experts et les magistrats. Au même titre que la Grande Bretagne on peut instaurer des conseils citoyens chargés de contrôler l'action de la justice ou favoriser l'échevinage qui permet à un citoyen d'être co-juge d'une décision judiciaire. Enfin abroger les lois Perben II et favoriser les actions récursoires de l'Etat contre les juges qui font des erreurs, peu appliquées.
Edgar Faure disait que la Jusitice était le seul service public où les fonctionnaire étaient payés pour contredire les hommes politiques. Dans un véritable état de droit, on comprend mieux l'hostilité de la Droite à favoriser ce dangereux contre-pouvoir: Alain Juppé ou Charles Pasqua ont tellement été victimes des racailles des tribunaux.


Le difficile accès des citoyens à la Justice.

  • favoriser l'information et l'action des justiciables.

La Justice en France est une femme qui n'accorde ses faveurs qu'aux plus fortunés...Le coût moyen d'un procès étant de 1 500 € l'accès réel à la Justice est aussi un enjeu financier dans la mesure où les moins nantis ne peuvent réclamer sa protection: combien de personnes ont renoncé à agir en Justice au vu des frais? La gauche a permis un accès facilité à la justice grâce à l'aide juridictionnelle. Cependant celle-ci s'élève à 4,64 € par habitant et par an contre 53,8 € en Grande-Bretagne!

En Grande-Bretagne une action en justice se fait par simple lettre recommandée alors qu'en France les procédures sont longues et coûteuses. L'établissement des juges de proximité aurait pu atténuer ces problèmes mais leur bilan est plus que mitigé: il s'agit de non-professionnels dont le Conseil Supérieur de la Magistrature qualifie le bilan d'un tiers d'entre eux de "catastrophique". Ils traîtent des "petits" litiges c'est-à-dire ceux inférieurs à 4 000 € (26 000 Francs environ), ce qui correspond tout de même à 4 SMIC le rappelle l'UFC-Que choisir.

Il convient de mieux aider aux démarches juridiques, créer une véritable politique d'accueil dans les Tribunaux, mutiplier les lieux d'information et augmenter les subventions aux nombreuses associations s'occupant bénévolement d'aide juridique. Enfin il convient de d'autoriser les "class actions" qui permettent aux Etats Unis à des particuliers d'agir en justice en nom collectif (associations de victimes, de consommateurs...) ce qui a pour conséquence de diminuer les coûts du procès par personne.

  • simplifier la légalité.

"Nul n'est censé ignorer la loi" affirme un adage juridique. Pourtant la vérité est ailleurs: il y a 250 000 textes de loi en France. Face à cette inflation législative, un travail de simplification et donc d'abrogation s'impose. Plutôt que de faire preuve de l'imagination débordante d'un Nicolas Sarkozy qui invente une nouvelle loi chaque fois qu'il regarde le journal de Jean Pierre Pernaud, il convient d'appliquer les lois existantes - un récent rapport du Sénat prouvait qu'un fort pourcentage des lois votées n'étaient pas appliquées.

Par ailleurs un travail d'unification juridique par la Chancellerie est nécessaire: il y a aujourd'hui autant de politiques pénales qu'il y a de Parquets car l'application d'une loi ne sera pas la même à Tulle qu'à Saint-Denis.

  • protéger les victimes.

Contrairement aux propos de Monsieur Sarkozy (parlons de lui car il est tellement égocentrique que lorsqu'on ne parle plus de lui, il croit être devenu sourd), le parti socialiste ne s'est pas contenté depuis 1981 de protéger les coupables car de nombreux textes ont été votés pour défendre les victimes.
Ainsi la loi du 8 juillet 1983 renforce la protection des victimes et institue un CIVI (commission d'indemnisation des victimes d'infraction) dans chaque Tribunal de Grande Instance; la loi du 5 juillet 1985 - loi Badinter - permet l'indemnisation des victimes d'accident de la circulation; la loi du 6 juillet 1990 instaure la réparation intégrale des victimes d'infraction contre les personnes; la loi du 15 juin 2000 a permis d'augmenter la protection de la présomption d'innocence et des droits des victimes.
Il convient d'étendre cette protection aux victimes d'atteinte aux biens.
Dans un autre domaine il convient d'admettre comme aux Etats Unis ou en Allemagne la possibilité pour un justiciable d'invoquer la Constitution dans un procès (la question préjudicielle).


Favoriser l'indépendance de la Justice.

Comme l'a prouvé sa brillante décision sur le CPE, le Conseil Constitutionnel resplendit par son prestige. Nommé pour un tiers par le Président de la République, un autre tiers par le Président du Sénat et un dernier tiers par celui de l'Assemblée Nationale, ce mode de désignation atteste de sa soumission de fait aux autres organes, d'autant que le Général de Gaulle y nommait des amis dociles, François Mitterrand des amis dociles ayant fait un peu de Droit dans leur scolarité (malgré des exceptions comme Robert Badinter): la politisation de cette institution nuit à sa crédibilité. D'autant que contrairement à l'Espagne ou à l'Italie il n'est pas nécessaire d'être juriste pour y siéger. Son contrôle ne porte que sur la Constitution et son préambule (depuis 1971), et un citoyen seul ne peut le saisir.
Le Parquet peut subir des instructions individuelles dans certaines affaires (cf les affaires Juppé ou Tiberi), les procureurs généraux sont nommés en conseil des ministres. Depuis que Dominique Perben est Garde des Sceaux il y a eu de nombreuses mutations de personnel autoritaires, des nominations contre l'avis du CSM. Pour solutionner ces déviances l'élection des juges et des magistrats par les citoyens est envisageable, tout comme l'obligation de nommer des personnes désignées sur des listes établies par des juristes comme c'est le cas en Italie.
Il convient aussi de lutter contre les pressions de l'opinion publique et des médias, en sanctionnant ainsi les excès des médias.


Quelques reflexions pour améliorer la Justice.

  • sur les problèmes de personnels.

Il faut évaluer les magistrats et les juges sur leurs comportements individuels, en réalisant un audit disciplinaire (ex comportement alcoolique...), à l'exemple de la loi du 11 mars 2004 qui oblige à un contrôle quinquennal des experts judiciaires. Il faut favoriser les sanctions contre les erreurs manifestes des magistrats en mettant plus en oeuvre l'action récursoire qui permet à l'Etat d'agir contre un juge suite à une indemnisation de l'Etat pour faute de justice.
Il faut favoriser la collégialité de jugement pour les jeunes magistrats et les affaires difficiles, mais aussi parrainer et encadrer les jeunes juges.
Il faut favoriser le contrôle de la justice par les citoyens par le biais des conseils citoyens qui permettent ce type d'action en Angleterre, ou par l'échevinage qui permet à des particuliers de co-juger dans un procès.

  • autres propositions.

Recourir plus facilement à des médiateurs ou à des conciliateurs; en prison favoriser les peines alternatives à la détention et éviter le fourre-tout carcéral.


LA DECADENCE DE LA CINQUIEME REPUBLIQUE

" Les institutions? Avant moi elles étaient dangereuses, après moi elles le redeviendront ". Dix ans après le départ de François Mitterrand de l’Elysée, ses propos sont plus que jamais d’actualité.
Avec une dissolution ratée par un Président de la République qui reste toujours en exercice, un Président du Conseil Constitutionnel appelé devant la justice et un Chef d’Etat cité dans de nombreuses affaires judiciaires (emplois fictifs, financement occulte, détournements de fonds publics), une extrême droite et une extrême gauche entre 15 et 20 %, un candidat d’extrême droite au deuxième tour d’une élection présidentielle et un taux d’abstentionnisme élevé, on est en droit de se demander si les propos de François Mitterrand n’étaient pas prophétiques.

Dès son adoption en 1958 Pierre Mendès France et François Mitterrand émirent des réserves prononcées sur le régime de la Cinquième République et sur son inspirateur, le Général de Gaulle. Leurs critiques visaient le caractère plébiscitaire et populiste du régime, ses dérives monarchiques et la faiblesse de ses contre-pouvoirs, mais surtout le caractère illégitime de la prise de pouvoir de de Gaulle.
Alors, après cinquante ans de bons et loyaux services, les institutions de la Cinquième République sont-elles réellement obsolètes? Si l’actualité récente atteste d’un essoufflement voire d’un vieillissement des institutions, doit-on pour autant les remettre en cause?

L’organisation des pouvoirs publics en France sous la Cinquième république.

Sous l’impulsion du Général de Gaulle elle se caractérise par un pouvoir exécutif fort (A), mais aussi par un Parlement affaibli voire « humilié » selon l’expression de François Bayrou (B).

A- Les dérives monarchiques du régime.

La pensée politique du Général de Gaulle s’enracine dans les écrits du penseur Charles Maurras (1858-1952) qu’on pourrait qualifier de « papa de la Cinquième République ». S’il n’a pas retenu son racisme, son monarchisme et sa volonté de décentralisation, il s’est tout de même inspiré de son nationalisme, de son anti-parlementarisme et de son goût pour l’autoritarisme. Le système idéal selon Maurras est le césarisme qui prône un lien direct entre le Peuple et son dirigeant, sans contre-pouvoir susceptible de parasiter la Volonté Générale. D’où le recours aux référendums, l’élection du Président au suffrage universel direct (1962), les chantages à la démission.

Dans la Constitution, l’article 5 ne lui confère qu’un rôle d’ « arbitre », terme juridiquement très flou, or le sociologue allemand Max Weber affirmait que l’intérêt d’un texte constitutionnel n’est pas ce qu’il dit mais plutôt ses silences qui sont autant de réserves de pouvoir.

Mis à part ce rôle la Constitution lui confère des pouvoirs très étendus: il peut soumettre des référendums (article 11), dissoudre l’Assemblée Nationale (article 12) et dirige la politique étrangère (article 15).

Concernant les référendums, de Gaulle a considérablement étendu son recours suite à un coup d’Etat juridique: alors que l’article 89 prévoit spécifiquement un vote du Parlement pour toute révision constitutionnelle, de Gaulle s’est appuyé sur l’article 11 sur l’organisation des pouvoirs publics, et ce pour un sujet mineur qui n’était que le mode d’élection du Président… de Gaulle affirmait qu’une Constitution c’est un texte, un esprit, une pratique. Par ses pratiques il a bien éclairé sur l’esprit qu’il souhaitait donner aux institutions.

Autre problème: la politique internationale. De Gaulle a inventé un concept politique, celui du « domaine réservé ». Selon ce concept, la politique internationale serait par essence du ressort du Président - on se demande d’où viendrait ce principe: de l’Ancien Testament biblique peut être? A ce titre le Président gère ces dossiers, sans obligation d’avertir le Premier Ministre ou le Parlement, la seule limite résidant dans les cas de déclarations de guerre où il doit informer le Parlement, mais la pratique est plus que restrictive puisque la dernière fois que cette obligation a été utilisée c’était…en 1939. C’est-à-dire que ni la guerre d’Indochine, ni les « évènements » d’Algérie, ni les interventions au Liban ou au Kosovo ne furent contrôlées par le Parlement. Ainsi se développe une diplomatie occulte, l’exemple typique étant le Rwanda avec qui les différents Présidents depuis 1970 ont signé des accords bilatéraux de coopération militaire. Dès lors l’armée française fut spectatrice du premier rang du génocide de 1993, sans capacité d’intervention mais aussi malheureusement sans pop corn. Ce type d’accords sont nombreux avec les pays africains et Madagascar.

Par ailleurs la pratique a encore accéléré ces pouvoirs: l’existence du « fait majoritaire » depuis 1962, qui veut que le groupe dominant à l’Assemblée soit un groupe majoritaire et discipliné à son parti, a encore accru les prérogatives réelles du Président qui est Chef de l’Etat mais aussi chef de la majorité ou de l’opposition parlementaire. En outre le quinquennat et surtout la coïncidence entre les années d’élections présidentielles et législatives et l’inversion des calendriers électoraux, qui fait que la présidentielle précède les législatives, ont réduit le Parlement à une armée de petits soldats.

Le plus inquiétant est l’article 16 qui accorde au Président un pouvoir de dictature de fait en cas de circonstances exceptionnelles. Ces dispositions devraient être plus encadrées. Ainsi le Président doit consulter le Premier Ministre et les présidents des assemblées et du Conseil Constitutionnel, mais sachant que lorsqu’il devait consulter Gaston Monnerville, ancien président du Sénat, de Gaulle se contentait de lui envoyer un courrier l’informant de son bon vouloir on comprend que ces dispositions ne sont guères contraignantes. L’article 16 ne peut raisonnablement demeurer un pouvoir propre sous peine de mépris de tout principe démocratique, ce pouvoir doit être partagé avec d’autres entités politiques. Par ailleurs il conviendrait de définir strictement dans un texte le contenu exact et exhaustif de la notion de « circonstances exceptionnelles ». En effet tous les Présidents n’ont pas l’omniscience du Général.

Pour ce qui est de sa responsabilité, le principe selon lequel tout pouvoir entraîne une responsabilité ne concerne pas le Président: il est seulement responsable devant le Peuple tous les cinq ans même si son parti échoue à des élections législatives ou s’il est désavoué suite à un référendum. S’il peut remettre en cause sa responsabilité devant le Peuple par le biais d’une dissolution, même s’il est désavoué (il ne s’agit bien sûr que d’un exemple…) il conserve le pouvoir. Pénalement, en vertu de l’adage monarchique « le Roi ne peut mal faire », elle est très réduite puisqu’elle n’est engageable qu’en cas de « haute trahison » (article 68), ce qui réduit considérablement les hypothèses. Ainsi Jacques Chirac, mis en cause dans de nombreuses affaires avec une dizaine de chefs d’inculpation (prise illégale d’intérêt, détournements de fonds publics…) n’a jamais été inquiété. Monarchie quand tu nous tiens… D’ailleurs lors de sa mise en cause au Parlement, seule une trentaine de parlementaires ont signé ce texte. Solidarité professionnelle quand tu nous tiens…

Concernant le Premier Ministre, celui-ci est soumis de fait au Président de la République: l’article 8 de la Constitution donne au Président le pouvoir de nommer le Premier Ministre, ce qui engendre de fait une subordination entre ces deux pouvoirs. Si le droit de révocation n’est pas autorisé de droit, celui-ci s’applique dans les faits: certains premiers ministres de la Cinquième République ont ainsi affirmé que le Président (il s’agissait de de Gaulle et de Pompidou) leur faisait signer des lettres de démission avec une date en blanc.
En outre ce qu’il y a de plus scandaleux c’est que la Constitution accorde au Gouvernement le pouvoir de déterminer et de conduire la politique de la Nation (article 20), alors que son dirigeant, le Premier Ministre, n’est pas nommé par le Peuple. Le Peuple aurait-il élu, si on l’avait consulté à cette époque et s’il avait dû s’exprimer par les urnes, des hommes tels qu’Alain Juppé ou Jean Pierre Raffarin? La pratique gaulliste consistant à placer ses amis ou un fusible comme Premier Ministre est une véritable atteinte à la démocratie. Pour mémoire Jean Pierre Raffarin a présenté quatre lettres de démission qui ont été rejetées par Jacques Chirac. Louis XVI est-il vraiment mort?

B- Le parlementarisme humilié.

Fidèle à Charles Maurras, de Gaulle se montre ouvertement méprisant à l’égard des parlementaires et des partis politiques dont les divisions seraient à l’origine de la débâcle de 1940...

Afin de concrétiser ce mépris il réduit considérablement les prérogatives du Parlement.

Tout d’abord il procède à une réduction du nombre de matières relevant de la loi - ce que l’on appelle le parlementarisme rationalisé. Ainsi l’article 34 de la Constitution énumère limitativement les matières relevant de la loi, tout le reste relevant du pouvoir réglementaire, attribut du Gouvernement (article 37) qui ne connaît aucune autre limite. De plus l’article 38 permet au Gouvernement de légiférer par simples ordonnances.

Concernant le pouvoir de contrôle du Parlement, attribut démocratique essentiel, celui-ci est faible: le Gouvernement peut faire voter sa confiance au Parlement sur une simple déclaration de politique générale et non sur un programme détaillé (article 49-1); une loi peut être votée sans débats et sans amendements des parlementaires (article 44-3 et surtout 49-3). Surtout le nombre de commissions parlementaires permanentes, qui contrôlent l’activité gouvernementale, a baissé de manière significative: alors qu’elles étaient 15 en 1946, elles sont aujourd’hui 6.

Le pouvoir budgétaire du Parlement s’est aussi réduit: 10 % seulement du budget est voté par le Parlement: ainsi certaines dépenses - « les services votés » - ne sont pas contrôlées et ne font l’objet d’aucune discussion, elles sont reconductibles automatiquement; par ailleurs la loi organique du 2 janvier 1959 limite aussi le contrôle du Parlement sur le budget.

Ces dérives se sont aggravées par des détails d’organisation: ainsi la loi est strictement encadrée financièrement (article 40); la rentrée des parlementaires se fait au mois d’octobre soit un mois après celle du Gouvernement. Par ailleurs le cumul des mandats réduit les parlementaires à des employés à temps partiel: alors qu’en 1936 35,7 % des députés exerçaient un autre mandat local, en 1988 c’était le cas de 96 % des parlementaires! Comment exercer un contrôle et un travail efficace sans avoir un temps complet à y consacrer? Par ailleurs comment peut-on justifier que dans un pays qui compte officiellement 2,5 millions de chômeurs certaines personnes puissent cumuler 2 ou 3 emplois soit 2 ou 3 salaires? Il est à noter que le cumul des mandats est une spécialité française puisque de nombreuses démocraties européennes prohibent légalement voire constitutionnellement ce type de pratiques.

Enfin d’autres faits ont affaibli le pouvoir législatif par rapport à l’Exécutif: ainsi l’inversion du calendrier électoral (présidentielles précédant les législatives) fait que les législatives ne deviennent qu’une élection d’une armée de petits soldats au service du Général; par ailleurs l’existence du fait majoritaire depuis 1962 - coïncidence entre la majorité au Parlement et le Gouvernement - a engendré une discipline voire une docilité du Parlement vis-à-vis de l’Exécutif.

Il est à noter que l’Union européenne a involontairement creusé ce fossé: 60 % des lois votées par le Parlement ne sont que de simples retranscriptions de directives européennes dont l’origine sont la Commission européenne, dont les membres ne sont pas élus par le Peuple, et le Conseil européen, composé des Exécutifs des Etats européens.

Dans le Contrat social (1762), Jean Jacques Rousseau affirmait que la loi devait être le produit de la Volonté Générale, somme des volontés particulières des citoyens, et devait être du monopole du travail de ses représentants réunis en assemblée. Aujourd’hui la Volonté Générale n’a plus que les sondages et le courrier des lecteurs des médias français pour s’exprimer…


Les contre-pouvoirs sous la Cinquième République.

Ceux-ci ont été volontairement affaiblis dans la Constitution (A), alors que le « pouvoir » judiciaire se voit subordonné au pouvoir exécutif (B).

A- Des contre-pouvoirs bâillonnés.

Selon Montesquieu, « il est notable que toute personne qui se voit attribuer un pouvoir est porté à en abuser ». Pour éviter ces déviances il faut que « le pouvoir arrête le pouvoir » (de l’Esprit des Lois, 1748). Dans le même esprit Alain affirmait au dix neuvième siècle que l’essence de la démocratie réside dans le contrôle du pouvoir par ses citoyens et l’existence de contre-pouvoirs. Tout porte à croire que le Général ne possédait malheureusement pas d’ouvrages de ces auteurs dans sa bibliothèque…

Afin de rassurer l’opinion publique de Gaulle accepta la création d’un Conseil Constitutionnel pour contrôler le respect de la Constitution et servir de garde-fou à l’Exécutif. Pourtant certaines réserves sont nécessaires: concernant son domaine de contrôle celui-ci est très limité puisqu’il ne porte que sur la Constitution; il a fallu attendre une décision du Conseil Constitutionnel au raisonnement juridique plus que douteux (« Liberté d’association », le 16/07/1971) pour que le préambule, à savoir la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et le Préambule de la Constitution de 1946, soit inclus dans son champ de contrôle. Par ailleurs les conditions de nominations de ses membres sont à revoir: ils sont nommés par des hommes politiques, le Président est notamment nommé par le Président de la République, ce qui engendre une subordination de fait, et sans aucun critère professionnel comme avoir une formation juridique. Ainsi le Général de Gaulle prit l’habitude de nommer des amis à ces postes, mais la pratique depuis Mitterrand est de nommer des hommes politiques à formation juridique (Robert Badinter, Simon Veil, Roland Dumas, Pierre Mazeaud…). Enfin la saisine est limitée: seuls 60 députés et 60 sénateurs peuvent le saisir, ainsi un citoyen ordinaire ne peut pas le saisir par le biais d’un procès par exemple (« la question préjudicielle »), le Conseil ne peut pas non plus s’autosaisir sauf dans des cas bien spécifiques comme l’organisation d’élections.

Par ailleurs le Sénat, qui possède un pouvoir législatif limité et un pouvoir consultatif, se limite à être un simple contre-pouvoir au réformisme: son mode d’élection à deux tours avec des grands électeurs, la surreprésentation de la campagne la plus rurale, son orientation éternellement à Droite en font l’agent du conservatisme.

La Cour des Comptes, produit de l’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui autorise les citoyens à contrôler l’emploi des fonds publics par ses citoyens, a des attributions faibles: ainsi en Grande Bretagne la « National Audit Office » publie 40 contrôles par an sur l’utilisation des fonds publics, en France la Cour des Comptes en publie 3... le Parlement britannique réclame une trentaine d’audits sur les dépenses publics, Pierre Joxe affirmait qu’il était consulté 3 fois par an… Il n’existe pas de Commission permanente au Parlement pour contrôler et évaluer les dépenses publiques, quant aux dépenses du Président de la République (ses billets d’avions par exemples…) la Cour n’a pas le droit de les contrôler.

Le Conseil Economique et Social (article 69 et 70) pourrait être un excellent outil démocratique mais la Constitution lui confie un rôle consultatif on ne peut plus limité: ainsi le Gouvernement n’est pas lié par ses avis, il ne « peut » que le consulter donc sa consultation n’est pas obligatoire. Augmenter ses pouvoirs et son importance, en le rapprochant de ceux du Sénat, pourrait être positif.

Au niveau local les chambres régionales des comptes sont chargées de contrôler les dépenses publiques locales. Cependant leurs moyens sont faibles et les citoyens ne peuvent pas les saisir directement, d’où une efficacité limitée.

Enfin dernier contre-pouvoir et non des moindres, le Peuple. La Constitution de Gaulle lui a confié plus de pouvoirs: le référendum et l’élection du Président de la République au suffrage universel direct. Cependant le domaine du référendum était originellement très limité concernant ses matières, même si François Mitterrand l’a étendu; en outre les citoyens n’ont pas le pouvoir d’initiative du référendum. Par ailleurs, ils ne peuvent invoquer le contrôle de la constitutionnalité d’une loi au cours d’un procès. Ils ne peuvent pas non plus avoir l’initiative d’une loi par pétition. Concernant les élections présidentielles, le candidat n’est pas lié par son programme, comme le disait le penseur gaulliste Charles Pasqua « les promesses politiques n’engagent que ceux qui y croient »… Mais au fond donner plus de pouvoir au peuple est-il souhaitable? Jean Jacques Rousseau considérait que la démocratie pure était faite pour les dieux pas pour les hommes, Montesquieu affirmait quant à lui que pour exercer un pouvoir il faut connaître le droit international, la diplomatie, l’économie, ce qui n’est pas le propre du Peuple… Le débat mérite d’être tenu car les exemples de démocratie quasi-directe dans certains états des Etats-Unis ou dans certains cantons suisses ont bien souvent dérivé vers le populisme.

B- De l’autorité judiciaire.

Dans la Constitution il existe un pouvoir législatif, un pouvoir exécutif mais elle parle dans son titre VIII d’ « autorité » judicaire et non de « pouvoir » judicaire. Cela est significatif car les constitutionnels n’ont pas voulu donner d’autonomie à ce pouvoir. Jean Tibéri ou Alain Juppé ont pu un peu mieux respirer.

L’autorité judiciaire est placée sous la subordination plus ou moins forte du Garde des Sceaux. Celui-ci a la faculté de donner des instructions individuelles aux magistrats et aux procureurs, voire de les dessaisir. Le règne de Jacques Toubon fut le paroxysme de l’ingérence du pouvoir politique dans le domaine judiciaire: les interventions dans les procès d’Alain Juppé et de Jean Tibéri concernant la ville de Paris sont des références, de même que les « conseils » de certains cadres du RPR de l’époque concernant le procès Maurice Papon. La surprise c’est de savoir que Juppé, Tibéri et Papon sont tous des gaullistes. Au cours du « quinquennat » de Lionel Jospin, Elizabeth Guigou et Marylise Le Branchu ont moralisé la vie judiciaire en évitant les dérives précédentes.

Par ailleurs les juges Joly, Van Ruymbecke ou Halphen ont fait des témoignages plus qu’éloquents sur les pressions qu’ils ont pu subir.

D’un point de vue technique le dualisme entre une justice judiciaire et une autre chargée de l’administration donc de l’Etat mérite aussi discussion: l’Etat se soustrait au droit commun, surtout que le droit administratif est une fabrication jurisprudentielle et se fonde essentiellement sur des décisions de justice et non sur des textes légaux. Le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature qui régule et contrôle une partie de l’activité de la justice est à revoir: ses membres sont nommés par le Président de la République. Autrefois il devait se baser sur une liste de noms choisis par le Conseil d’Etat, la Cour de Cassation ou les corps de magistrats. Cette obligation a disparu. Une régression?

D’un point de vue financier et humain la Justice, garante du libéralisme moral, possède des moyens très faibles: ainsi en 1997 la France comptait autant de procureurs qu’en 1857 alors que la population avait doublé entre temps! Un rapport du Conseil européen de novembre 2004 sur les justices en Europe classait la France aux plus mauvaises places européennes sur de nombreux paramètres (budget, nombres de fonctionnaires, rapidité du traitement des affaires…). Ces données ont été confirmées par un rapport de la Cour des Comptes. Un rapport d’Alain Bauer affirmait que sur 5,4 millions des procédures présentées annuellement à la Justice, seules 600 000 sont traitées: les procureurs ont le monopole de l’opportunité des poursuites, sans aucun contrôle; le taux d’élucidation des délits se chiffrait de 20 à 25 %

Au-delà de ces réalités, l’accès des citoyens à la Justice doit être renforcé: ils ne peuvent pas poser de question préjudicielle au cours d’un procès c’est-à-dire contrôler la constitutionnalité d’une loi par un juge de droit commun; l’accès financier aux procès a été renforcé grâce à l’aide juridictionnelle mais de nombreux citoyens ont des difficultés à agir en justice, surtout que la Justice française est très procédurière (huissiers, notaires, greffiers, frais de justice…), pour information pour agir en justice en Grande Bretagne une lettre recommandée avec accusé de réception suffit; l’accès à la preuve est aussi ardu.

En fait la France ne respecte toujours pas les critères du « bons procès » fixés par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme: les traitements des dossiers sont lents, la France a été condamnée par la Justice européenne de nombreuses fois pour ses retards.

Etant donnés ces nombreux dysfonctionnements la Justice, contre-pouvoir traditionnellement protecteur des droits des citoyens dans notre culture politique libérale, peut difficilement exercer ses fonctions.