mardi 4 décembre 2007

LA CINQUIEME REPUBLIQUE : UNE ANOMALIE CONSTITUTIONNELLE EN EUROPE

Dans « Ainsi parlait Zarathoustra », Friedrich Nietzsche affirmait qu’il existe trois types d’hommes: les chameaux qui subissent docilement l’ordre établi, les lions dont l’action se limite à sa contestation et les enfants qui n’ont pas besoin de s’opposer à celui-ci pour affirmer leurs valeurs.

Les partisans d'une Sixième République ne doivent pas se contenter de demeurer dans la posture du lion nietzschéen en se limitant à émettre des critiques prononcées sur le régime de la Cinquième République. Au contraire ceux-ci doivent s’ouvrir sur le monde qui lesentoure afin d’y trouver matière à enrichir le débat institutionnel en France et ainsi de proposer sans s’opposer.

A ce titre l’étude des constitutions de diverses démocraties européennes s’avère nécessaire afin de faire une comparaison avec notre actuelle Constitution et celle que nous proposons.

Dans le cadre de cette étude, nous nous limiterons à l’étude de trois pays: l’Espagne (I), l’Allemagne (II) et l’Italie (III).


I- La Constitution espagnole.

A- Description des institutions espagnoles.

La Constitution espagnole a été rédigée en 1978 et est très marquée par sa volonté de tourner la page du franquisme. D’où l’importance accordée aux droits et devoirs fondamentaux, et aux libertés publiques (55 articles): sont ainsi constitutionnalisés le pluralisme politique, le pluralisme religieux, la liberté de se syndiquer ou de s’associer et surtout la faculté pour les citoyens de réclamer leur application devant la Justice. Le système est une monarchie parlementaire où la reconnaissance des pouvoirs locaux est prononcée.

Concernant le pouvoir exécutif, il s’agit d’une dyarchie inégalitaire composée par le Roi et par le Président du Gouvernement.

Le Roi obtient son pouvoir de manière héréditaire. Selon l’article 56 de la Constitution, ses prérogatives sont d’être le chef de l’État, le symbole de son unité et de sa permanence, l’arbitre et le modérateur du fonctionnement régulier des institutions ainsi que de représenter l’Espagne à l’étranger. Par ailleurs il nomme les ambassadeurs et les diplomates. Il ne possède aucun pouvoir propre puisque tous ses actes doivent être contresignés par le Président du Gouvernement ou le ministre compétent (art 64). Enfin le Roi doit prêter serment à sa proclamation (art 61).

Sachant que les élections se font selon le scrutin proportionnel, le Président du Gouvernement est nommé à la majorité absolue puis à la majorité simple. Il est investi par le vote d’une déclaration de politique générale au Parlement. Le Gouvernement est chargé de la politique intérieure, extérieure et administrative (art 97). Sa responsabilité pénale ne peut pas être l’objet d’une grâce royale (art 102) et il et assisté du Conseil d’État.

Le Gouvernement est responsable devant une seule chambre, le Congrès des Députés, qui peut demander des informations à celui-ci (art 109), voter une motion de censure (art 113).Le Président du Gouvernement peut dissoudre le Parlement (art 115).

Le pouvoir législatif est exercé par deux chambres aux pouvoirs inégalitaires: le Congrès des députés et le Sénat qui possèdent les pouvoirs législatifs, budgétaires et le contrôle de l’action gouvernementale (art 66), le Congrès est élu pour quatre ans, au scrutin universel direct proportionnel dans un cadre provincial.

Le Sénat est l’organe de représentation des territoires: chaque province compte quatre sénateurs, les grandes îles trois, Ceuta et Melilla deux. Ensuite les communautés autonomes élisent un sénateur de plus pour chaque million d’habitant qu’il compte.

Le parlementarisme est rationalisé: son pouvoir est subsidiaire puisque celui des communautés autonomes prime (art 74). L’initiative des lois appartient aux deux chambres, au Gouvernement, aux communautés autonomes ainsi qu’au Peuple qui peut soumettre des textes de loi signés par 500 000 citoyens (art 87). Le Congrès prime le Sénat: tout texte qui est transmis au Sénat doit être voté, amendé ou donner lieu à un veto sous deux mois (art 90).

L’activité du Gouvernement est encadrée: les délégations de pouvoir (ordonnances) faites par le Parlement doivent être explicites et respecter des conditions restrictives. Une Commission d’enquête est aussi instituée.

Au sujet du pouvoir judiciaire, les conditions d’avancée et de fin de fonction des juges et des magistrats sont encadrées afin d’assurer leur indépendance et éviter les pressions (art 117), la gratuité de la justice est assurée pour les moins nantis (art 119), les erreurs judicaires doivent être réparées par l’État (art 121). L’autorité supérieure est le Tribunal suprême dont les membres sont nommés par le Roi sur proposition du conseil général du pouvoir judiciaire, dont ses membres à lui doivent être des juges ou des avocats ayant plus de quinze ans d’expériences professionnelles.

Le Tribunal constitutionnel contrôle l’application de la Constitution. Ses membres doivent être des juristes ayant plus de quinze ans d’expériences. Ses pouvoirs sont étendus (art 161), les recours individuels des citoyens sont possibles, ses décisions et ses désaccords internes sont publiés au JO.

Il existe divers contre-pouvoirs: la Cour des Comptes qui publie un rapport annuel et dont l’indépendance et l’inamovibilité des membres est garantie (art 136); le Peuple qui peut soumettre des lois et intervient par référendum. Il s’agit surtout des collectivités territoriales dont l’autonomie, notamment financière est reconnue, et qui doivent respecter un principe de solidarité entre elles. Ses compétences sont explicitement reconnues; son action est contrôlée par divers organes étatiques; elles peuvent lever des impôts, contracter des crédits et détenir un patrimoine.

B- Les éléments d’intérêt de la Constitution espagnole.

La répartition des pouvoirs entre les organes du pouvoir exécutif est intéressante: les pouvoirs du Roi pourraient correspondre à ceux du Président de la Sixième République, à la différence près que ses pouvoirs ne se transmettraient pas de manière héréditaire… L‘obligation de prêter serment est également positive. Par ailleurs, il conviendrait d’accroître les pouvoirs du Premier Ministre.

Les pouvoirs de contrôle et l’obligation de transparence sont importantes: Commission d’enquête parlementaire, demande d’audition de membres du Gouvernement par le Parlement, saisine possible du Tribunal Constitutionnel par les citoyens qui peuvent aussi avoir l’initiative de lois.

Plus généralement on peut signaler une régionalisation importante (les régions ont l’initiative de lois) qui tranche avec le parisianisme de la politique française, l’encadrement des ordonnances gouvernementales, le délai de deux mois imposé au Sénat pour voter ou rectifier des lois, les limites au droit de grâce, l’obligation d’être juriste et d’avoir une expérience professionnelle conséquente pour siéger dans certaines hautes juridictions, la gratuité de la justice pour les moins nantis, les rapports annuels de la Cour des comptes, le contreseing de tous les actes royaux.


II- La Constitution allemande.

A- Description des institutions allemandes.

A l’exemple de la Constitution espagnole, marquée par une réaction au franquisme, la Constitution allemande est une réaction au nazisme. Ainsi les Droits fondamentaux sont reconnus aux articles 1 à 19 (liberté de la presse, d’association, droit de pétition, droit de résistance à ceux qui renversent l’ordre étatique). L’Allemagne est composée de la fédération et des Länder, est un État fédéral, démocratique et social. Le Droit fédéral prime le droit des Länder (arts 30 et 31).

Le Parlement est composé de deux chambres: le Bundestag et le Bundesrat.

Les membres du Bundestag sont nommés pour quatre ans au suffrage universel direct, au-delà de ses pouvoirs législatifs et budgétaires, il possède une Commission d’enquête (art 44), une Commission des affaires de l’Union Européenne (art 45).

Les membres du Bundesrat sont les membres des gouvernements des Länder qui les nomment et les révoquent. Chaque Länder possède de trois à six voix en fonction de leur grandeur.

Afin de préserver de toute instabilité ministérielle, on ne connaît que trop leurs conséquences tragiques au cours de l’entre-deux guerres, les américains à l’origine de cette Constitution ont établi un parlementarisme rationalisé: la motion de défiance constructive est possible (art 67), les matières législatives sont limitées « rationae materiae » (arts 71à 75), le Bundesrat a six semaines pour s’exprimer sur un texte (art76).

Le pouvoir exécutif est détenu par le Président fédéral et le Gouvernement fédéral (notamment par le Chancelier).

Le Président est élu au suffrage universel indirect par un collège composé des membres des deux Chambres, auquel s’ajoutent un nombre égal de membres élus à la proportionnelle par la représentation du peuple des Länder. Il est élu à la majorité absolue puis à la majorité simple au bout de deux tours infructueux, il est élu pour cinq ans renouvelables une seule fois. Il doit prêter serment (art 56); il ne possède pas de pouvoirs propres car tous ses actes doivent être contresignés par le Chancelier ou par un ministre. Ses pouvoirs se limitent à la simple représentation internationale de la Fédération, à la seule signature des traités, à la nomination des juges et des diplomates. Sa responsabilité peut être mise en cause pour violation de la Loi fondamentale ou de la Constitution (art 61).

Le Gouvernement fédéral est dirigé par un Chancelier. Il est nommé par le Bundestag à la majorité absolue puis simple sur proposition du Président fédéral. Le Chancelier fixe les grandes orientations de la politique. Chaque ministre est autonome dans ses fonctions (art 65).

Concernant le pouvoir judiciaire, il est exercé par la Cour constitutionnelle fédérale et par les Cours constitutionnelles. La Cour constitutionnelle peut être saisie par des citoyens et par des communes, l’indépendance des juges est reconnue (art 97), le juge peut demander le contrôle de la constitutionnalité d’un texte en le transmettant à la Cour constitutionnelle (art 100), l’article 103 a intégré en droit allemand le concept de « bon procès » reconnu par la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et du citoyen.

Enfin, à l’exemple des communautés autonomes espagnoles, les Länder possèdent des pouvoirs importants; le Peuple par contre n’a pas le droit au référendum en vertu d’un adage américain de 1945 selon lequel le Peuple allemand serait un Peuple de sauvages dont il faudrait se protéger. Citons par ailleurs, l’article 115 qui énonce les principes applicables en cas de guerre, à savoir le maintien de la légalité républicaine, la constatation par le Parlement de l’état d’agression et le transfert au Chancelier des pouvoirs militaires.

B- Les éléments d’intérêt de la Constitution allemande.

Il s’agit tout d’abord des pouvoirs de contrôle du Parlement par le biais des Commissions d’enquête et des affaires européennes, d’une répartition claire des fonctions au sein de l’Exécutif, d’une responsabilité importante du Président fédéral (à la différence de la France où le Président a les pouvoirs sans responsabilité alors que le Premier Ministre a la responsabilité sans les pouvoirs) qui doit prêter serment à son entrée en fonction, l’article 115 qui définit un régime en cas de guerre alors que la Sixième République se contente d’abroger l’article 16 de la Constitution de la Cinquième République sans rien prévoir en remplacement. Citons aussi l’article 103 qui reconnaît le concept de bon procès ou l’article 97 qui reconnaît l’indépendance des juges.


III- La Constitution italienne.

A- Description des institutions italiennes.

La Seconde guerre mondiale n’a pas engendré que des morts, elle a aussi engendré des Constitutions puisque la Constitution italienne se veut comme une rupture vis-à-vis du fascisme mussolinien. Ainsi la Partie I énonce les droits et devoirs fondamentaux tels que les soins gratuits (art 32), le droit aux bourses d’étude (art 34), l’égalité homme-femme (art 37) ou majeurs-mineurs ou valides-invalides dans la vie professionnelle (art 37 et 38), le droit de pétition (art 50), le caractère progressif des impôts (art 53).

Le Parlement se compose d’une Chambre des députés et du Sénat de la République.

La Chambre des députés est élue au suffrage universel direct tout comme le Sénat mais lui est élu sur une base régionale. Tous les anciens Présidents de la République sont nommés sénateurs à vie sauf s’ils y renoncent, des personnes peuvent aussi être nommées en vertu de leurs « mérites exceptionnels ». Ses membres ont élus pour cinq ans, qui peuvent être prorogés en cas de guerre.

Les deux chambres ont l’initiative législative, en concurrence avec le Gouvernement et le Peuple (50 000 citoyens), 500 000 personnes peuvent faire abroger une loi en signant une pétition (art 75), les ordonnances gouvernementales sont strictement encadrées (art 76 et 77), en cas de guerre les deux Chambres reconnaissent l’état de guerre et délèguent les pouvoirs nécessaires au Gouvernement (art 78), un pouvoir d’enquête leur est aussi reconnu (art 82).

Le pouvoir exécutif est attribué au Président de la République et au Gouvernement (notamment au Président du Conseil).

Le Président de la République est élu par les deux chambres réunies du Parlement, auxquelles s’ajoutent des délégués régionaux, à la majorité des deux tiers de l’Assemblée, puis à la majorité absolue au troisième tour, il est élu pour sept ans, doit avoir plus de cinquante ans. Le Président est le Chef de l’Etat, garant de l’unité nationale, a un pouvoir de nomination, est le chef des armées et dirige le Conseil Supérieur de la Magistrature, a le droit de grâce, le droit de dissolution d’une ou deux chambres. Tous ses actes sont contresignés, il peut être poursuivi en cas de haute trahison ou d’attentat à la Constitution, doit prêter serment (art 91).

Le Gouvernement est dirigé par le Président du Conseil qui doit prêter serment et dirige la politique générale et garantit l’unité d’orientation politique; si le Parlement souhaite le renverser sa motion doit être motivée. Il est assisté du Conseil d’Etat et par le Conseil national de l’économie et du travail.

Pour le pouvoir judiciaire, les magistrats sont autonomes, indépendants (art 104) et inamovibles (art 107), le Conseil supérieur de la Magistrature est élu à un tiers par des parlementaires et à deux tiers par tous les magistrats judiciaires, ses membres doivent être des professeurs de droit ou des avocats ayant au moins quinze ans d’activité. L’article 111 intègre dans la Constitution les principes du juste procès.

Une Cour constitutionnelle est établie dont un tiers des membres sont nommés par le Président, un tiers par le Parlement, et un tiers par les magistrats suprêmes; ses membres doivent être des avocats et des professeurs de Droit ayant plus de vingt ans d’expérience; le Président est renouvelable tous les trois ans. Lorsqu’une loi est déclarée inconstitutionnelle,celle-ci perd automatiquement tout effet.

Les Régions, Provinces et Communes ont eux des pouvoirs mais subsidiaires (art 136).

B- Les éléments d’intérêt de la Constitution italienne.

Concernant les contre-pouvoirs, le Peuple a l’initiative de lois et peut abroger des lois; le Conseil Supérieur de la Magistrature est nommé partiellement par des magistrats, le concept de juste procès est constitutionnalisé.

En matière de contrôle, il y a une Commission d’enquête parlementaire, et les deux personnages de l’Exécutif doivent prêter serment.

Techniquement l’article 78 relatif à l’état de guerre est nécessaire, l’élection du Président au deux tiers des voix du collège électoral incite au consensus politique et à une dépolitisation de sa fonction, quant à l’obligation de motiver une motion de censure elle est utile.

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