samedi 17 novembre 2007

JUSTICE FRANCAISE : L'INSECURITE EST AILLEURS

Outreau. Si l'émotion dégagée par ce procès a été unanime en France, le diagnostic réalisé par l'opinion publique est un peu plus contestable. Selon celle-ci ce fiasco serait le fait des défaillances individuelles d'un seul homme, le Juge Burgaud. Cependant une étude plus poussée de la situation de la Justice en France démontre que cette sombre affaire n'est que la partie immergée d'un iceberg: un rapport de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice - la CEPEJ - classait la France 23ème état européen sur 25 sur divers critères (budget, personnel,accès à la justice de ses citoyens, moyens matériels...).
Au vu de cette situation, les gesticulations d'un certain ex-Ministre de l'Intérieur pour poursuivre les racailles de banlieue et les juges défaillants peuvent paraître illusoires voire ridicules car ces comportements sont les conséquences logiques d'un état de délabrement de l'institution judiciaire. Ces gesticulations sont aussi inquiétantes dans la mesure où la Justice est un des dernier contre-pouvoir de nos institutions, un des dernier rempart contre l'arbitraire étatique et l'injustice dans un système juridique rousseauiste où on sacralise la Loi.
Beaucoup plus que des paroles les chiffres concernant la justice française démontrent son caractère catastrophique (§1). D'autres indicateurs attestent de sa médiocrité: l'insécurité qu'elle engendre (§2), la difficulté notamment financière à y accéder (§3), sa dépendance vis-à-vis de certains pouvoirs notamment politiques (§4). Malgré tout, des axes d'améliorations sont envisageables (§5).


La Justice française en budget et en chiffres.


Il est impossible d'exercer une saine justice sans hommes susceptibles de l'assurer. Hors, la France souffre d'un manque de personnel: il y a ainsi 7 500 magistrats pour traîter 5 millions d'affaires par an, 250 juges d'application des peines pour traîter 180 000 dossiers, 569 juges d'instructions pour 35 000 affaires. Entre 1867 et 1997 le nombre de magistrats n'a pas varié alors que la population française a doublé! Face à ces problèmes d'effectifs les conséquences sont évidentes: les magistrats sont recrutés à la sortie des écoles, sont parfois jeunes et inexpérimentés. Par ailleurs la France connait la charge de travail judiciaire la plus lourde de l'Union Européenne après la Norvège.
La France ne consacre que 1,6 % de son budget soit 0,6 % de son PIB à sa justice, ce qui la classe au 23ème rang sur 25 en Europe. Ces problèmes de budget affectent les interlocuteurs de la Justice: ainsi à Perpignan 600 expertises sont en attente de paiement, au niveau national de nombreux médecins légistes connaissent aussi des retards de paiement.
Ainsi à Bobigny en 2001 il y avait 25 000 affaires en attente d'enregistrement, 18 000 dossiers étaient effectivement traîtées par les juges (soit 1 600 par personne), les crimes étaient jugés trois ans après leur réalisation.

Au-delà de ces problèmes financiers et humains, la France connaît des problèmes dans le temps de gestion des dossiers: à Reims le traitement du courrier avait quatre mois de retard en 2001. Ainsi Mario-Luis Cragheiro, vice-président du Tribunal Correctionnel de Reims confesse que malgré des semaines de 60 heures de travail il n'approfondit pas ses dossiers pour éviter de finir chaque jour à cinq heures du matin. Nombre de juges et de magistrats affirment lire en diagonale leurs dossiers, ne plus avoir le temps d'étudier les nouveaux textes juridiques. La France a ainsi été condamnée de nombreuses fois par la Cour de Justice de la Communauté Européenne pour la lenteur de sa justice: un an en moyenne pour un dossier contre un mois et demi en Grande-Bretagne...
Le salaire moyen d'un magistrat est de 23 800 euros annuels contre 77 200 au Danemark.


L'insécurité dans les Tribunaux: pire que dans les banlieues françaises!

Dans un récent sondage, 57 % des Français interrogés avouaient que le premier sentiment que leur inspirait leur Justice était...la peur. En effet, si l'opinion publique s'est focalisée sur le procès d'Outreau, celle-ci ne se rend pas encore compte de l'état pitoyable de sa justice, véritable bourgeon d'Outreaux futurs.
Rappelons les rapports publiés par le Conseil de l'Europe et la Commission européenne pour l'efficacité de la justice ont classé la France 23ème pays européen sur 25 concernant divers critères judiciaires (budget, accès à la justice, personnel...). Les chiffres sont plus qu'éloquents: elle consacre 28,35 € par habitant et par an à sa justice, contre 53,13 € en Allemagne ou 64,41 € au Portugal; possède 0,5 procureur pour 20 000 habitants contre 1,5 en Allemagne, et 10,37 juges professionnels pour 100 000 habitants contre 25,3 en Allemagne.

Ces problèmes financiers et de personnels font qu'il est devenu plus dangereux d'entrer dans un tribunal que dans n'importe quelle banlieue française.
Ainsi en 2005, la Justice française a accordé plus de 585 années de prisons à des innocents: la détention préventive qui consiste a incarcérer une personne qui n'a pas encore été jugée concerne 35 à 40 % de la population carcérale française (contre une moyenne européenne de 20 %). Nul n'est à l'abri de l'erreur judiciaire.
Même si la gauche a tenté d'encadrer ses pouvoirs entre 1997 et 2002 (en imposant un contrôle de ses actes et une obligation de motiver de ceux-ci), le juge d'instruction, qui est à la fois enquêteur et arbitre du procès, continue d'exercer des pouvoirs exorbitants. Cette déviance est accrue par le système inquisitoire à la française qui, contrairement au système accusatoire, donne un monopole au juge dans le procès, au détriment du justiciable.
La loi Perben II a accru ces atteintes au droit de la défense et aux Libertés publiques en instaurant le plaider coupable. Celui-ci supprime le recours protecteur de la Justice et du procès en lui substituant la négociation directe juge-accusé. Cette relation forcément déséquilibrée instaure un Etat d'exception permanent, qui fait penser à l'Etat d'urgence sous l'Apartheid en Afrique du Sud qui permettait de suspendre la Constitution et la Loi lorsque la Patrie s'estimait en danger. Un de ces état d'urgence a duré deux ans...

Au-delà de cette insécurité juridique, il existe aussi une insécurité financière: la loi organique relative aux lois de finances impose aux tribunaux une culture de gestion digne des meilleures multinationales. Ainsi en 2006 elle a attribué à la Justice un budget de 370 millions d'euros, alors que celle-ci table sur des dépenses de 600 millions d'euros! Du coup les tribunaux vont devoir contrôler leurs frais de justice, sachant que ceux-ci devront être estimés a priori (invitons les juges à consulter Elisabeth Teissier pour savoir si un deuxième AZF - 1,5 millions d'euros de frais d'expertise - n'apparait pas dans les astres) et que ces crédits seront limitatifs, donc impossibles à augmenter en cours d'année. Déjà dans plusieurs villes des experts et des médecins légistes ne sont plus payés depuis des mois (cf supra). En outre, une culture du productivisme à faire pâlir toute usine se développe dans les tribunaux.

Afin de lutter contre cette insécurité dont Walker Texas Sarkozy ne parle jamais, il convient de réserver la détention provisoire aux individus dangereux ou susceptibles de supprimer des preuves, d'encadrer et de contrôler les jeunes juges et les juges d'instruction, d'augmenter les moyens financiers et humains, d'évaluer les experts et les magistrats. Au même titre que la Grande Bretagne on peut instaurer des conseils citoyens chargés de contrôler l'action de la justice ou favoriser l'échevinage qui permet à un citoyen d'être co-juge d'une décision judiciaire. Enfin abroger les lois Perben II et favoriser les actions récursoires de l'Etat contre les juges qui font des erreurs, peu appliquées.
Edgar Faure disait que la Jusitice était le seul service public où les fonctionnaire étaient payés pour contredire les hommes politiques. Dans un véritable état de droit, on comprend mieux l'hostilité de la Droite à favoriser ce dangereux contre-pouvoir: Alain Juppé ou Charles Pasqua ont tellement été victimes des racailles des tribunaux.


Le difficile accès des citoyens à la Justice.

  • favoriser l'information et l'action des justiciables.

La Justice en France est une femme qui n'accorde ses faveurs qu'aux plus fortunés...Le coût moyen d'un procès étant de 1 500 € l'accès réel à la Justice est aussi un enjeu financier dans la mesure où les moins nantis ne peuvent réclamer sa protection: combien de personnes ont renoncé à agir en Justice au vu des frais? La gauche a permis un accès facilité à la justice grâce à l'aide juridictionnelle. Cependant celle-ci s'élève à 4,64 € par habitant et par an contre 53,8 € en Grande-Bretagne!

En Grande-Bretagne une action en justice se fait par simple lettre recommandée alors qu'en France les procédures sont longues et coûteuses. L'établissement des juges de proximité aurait pu atténuer ces problèmes mais leur bilan est plus que mitigé: il s'agit de non-professionnels dont le Conseil Supérieur de la Magistrature qualifie le bilan d'un tiers d'entre eux de "catastrophique". Ils traîtent des "petits" litiges c'est-à-dire ceux inférieurs à 4 000 € (26 000 Francs environ), ce qui correspond tout de même à 4 SMIC le rappelle l'UFC-Que choisir.

Il convient de mieux aider aux démarches juridiques, créer une véritable politique d'accueil dans les Tribunaux, mutiplier les lieux d'information et augmenter les subventions aux nombreuses associations s'occupant bénévolement d'aide juridique. Enfin il convient de d'autoriser les "class actions" qui permettent aux Etats Unis à des particuliers d'agir en justice en nom collectif (associations de victimes, de consommateurs...) ce qui a pour conséquence de diminuer les coûts du procès par personne.

  • simplifier la légalité.

"Nul n'est censé ignorer la loi" affirme un adage juridique. Pourtant la vérité est ailleurs: il y a 250 000 textes de loi en France. Face à cette inflation législative, un travail de simplification et donc d'abrogation s'impose. Plutôt que de faire preuve de l'imagination débordante d'un Nicolas Sarkozy qui invente une nouvelle loi chaque fois qu'il regarde le journal de Jean Pierre Pernaud, il convient d'appliquer les lois existantes - un récent rapport du Sénat prouvait qu'un fort pourcentage des lois votées n'étaient pas appliquées.

Par ailleurs un travail d'unification juridique par la Chancellerie est nécessaire: il y a aujourd'hui autant de politiques pénales qu'il y a de Parquets car l'application d'une loi ne sera pas la même à Tulle qu'à Saint-Denis.

  • protéger les victimes.

Contrairement aux propos de Monsieur Sarkozy (parlons de lui car il est tellement égocentrique que lorsqu'on ne parle plus de lui, il croit être devenu sourd), le parti socialiste ne s'est pas contenté depuis 1981 de protéger les coupables car de nombreux textes ont été votés pour défendre les victimes.
Ainsi la loi du 8 juillet 1983 renforce la protection des victimes et institue un CIVI (commission d'indemnisation des victimes d'infraction) dans chaque Tribunal de Grande Instance; la loi du 5 juillet 1985 - loi Badinter - permet l'indemnisation des victimes d'accident de la circulation; la loi du 6 juillet 1990 instaure la réparation intégrale des victimes d'infraction contre les personnes; la loi du 15 juin 2000 a permis d'augmenter la protection de la présomption d'innocence et des droits des victimes.
Il convient d'étendre cette protection aux victimes d'atteinte aux biens.
Dans un autre domaine il convient d'admettre comme aux Etats Unis ou en Allemagne la possibilité pour un justiciable d'invoquer la Constitution dans un procès (la question préjudicielle).


Favoriser l'indépendance de la Justice.

Comme l'a prouvé sa brillante décision sur le CPE, le Conseil Constitutionnel resplendit par son prestige. Nommé pour un tiers par le Président de la République, un autre tiers par le Président du Sénat et un dernier tiers par celui de l'Assemblée Nationale, ce mode de désignation atteste de sa soumission de fait aux autres organes, d'autant que le Général de Gaulle y nommait des amis dociles, François Mitterrand des amis dociles ayant fait un peu de Droit dans leur scolarité (malgré des exceptions comme Robert Badinter): la politisation de cette institution nuit à sa crédibilité. D'autant que contrairement à l'Espagne ou à l'Italie il n'est pas nécessaire d'être juriste pour y siéger. Son contrôle ne porte que sur la Constitution et son préambule (depuis 1971), et un citoyen seul ne peut le saisir.
Le Parquet peut subir des instructions individuelles dans certaines affaires (cf les affaires Juppé ou Tiberi), les procureurs généraux sont nommés en conseil des ministres. Depuis que Dominique Perben est Garde des Sceaux il y a eu de nombreuses mutations de personnel autoritaires, des nominations contre l'avis du CSM. Pour solutionner ces déviances l'élection des juges et des magistrats par les citoyens est envisageable, tout comme l'obligation de nommer des personnes désignées sur des listes établies par des juristes comme c'est le cas en Italie.
Il convient aussi de lutter contre les pressions de l'opinion publique et des médias, en sanctionnant ainsi les excès des médias.


Quelques reflexions pour améliorer la Justice.

  • sur les problèmes de personnels.

Il faut évaluer les magistrats et les juges sur leurs comportements individuels, en réalisant un audit disciplinaire (ex comportement alcoolique...), à l'exemple de la loi du 11 mars 2004 qui oblige à un contrôle quinquennal des experts judiciaires. Il faut favoriser les sanctions contre les erreurs manifestes des magistrats en mettant plus en oeuvre l'action récursoire qui permet à l'Etat d'agir contre un juge suite à une indemnisation de l'Etat pour faute de justice.
Il faut favoriser la collégialité de jugement pour les jeunes magistrats et les affaires difficiles, mais aussi parrainer et encadrer les jeunes juges.
Il faut favoriser le contrôle de la justice par les citoyens par le biais des conseils citoyens qui permettent ce type d'action en Angleterre, ou par l'échevinage qui permet à des particuliers de co-juger dans un procès.

  • autres propositions.

Recourir plus facilement à des médiateurs ou à des conciliateurs; en prison favoriser les peines alternatives à la détention et éviter le fourre-tout carcéral.


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