mercredi 5 décembre 2007

PARADIS FISCAL, PARADIS LEGAL?

Qu'est ce qu'un paradis fiscal? A cette question beaucoup répondent qu'il s'agit seulement d'îles exotiques permettant à des mafieux ou délinquants de blanchir leurs fonds, et d'éviter de payer des impôts.

Pourtant la réalité est plus complexe et plus sérieuse. Dès 1968 Alain Vernet du Figaro les avait qualifié de « bas fonds de la finance internationale » : en effet ils font aujourd'hui partie intégrante du système économique mondial et entrent dans la stratégie des entreprises. Par ailleurs l'Europe, contrairement aux idées reçues est très en avant en matière de paradis fiscaux : pas besoin en effet d'aller très loin pour pouvoir placer ses fonds « au chaud ».


QU'EST CE QU'UN PARADIS FISCAL?

Définir un paradis fiscal n'est pas chose aisée. En effet, que ce soit au niveau national ou au niveau international il n'existe pas dans la législation ou dans la jurisprudence de définition précise.

Cependant les travaux de l'OCDE et le rapport Gordon (rapport de l'administration fiscale américaine) retiennent quelques critères :

- les paradis fiscaux se signalent tout d'abord par une fiscalité basse, notamment celle sur le capital des non résidents

- ils se signalent aussi par le secret bancaire ou commercial. Concernant le secret bancaire certains pays le considèrent ainsi comme un élément de l'ordre public (Suisse, Monaco), comme un droit de l'Homme (Luxembourg), comme un devoir professionnel pénalement sanctionné (Suisse), comme un élément de la sécurité étatique (Liechtenstein). Avec parfois des conséquences scandaleuses (affaire des avoirs juifs, affaire Sani Abacha)

Concernant le secret commercial, cela concerne surtout les pays anglo-saxons régis par la « common law », qui limite tout formalisme, et tolère de ce fait une forme d'opacité. Idem pour différentes formes de sociétés (trusts, fiducies, anstalt...) présentes dans les paradis fiscaux

- une coopération judiciaire internationale faible vis-à-vis d'autres Etats instituant une forme d'impunité en matière de délinquance financière

- divers critères secondaires : secteur financier très développé par rapport à la taille du pays; facilité d'installation et de création des entreprises; stabilité économique et politique; bonnes infrastructures de communication et de transport; rareté des conventions fiscales; faiblesse des dépenses publiques; législations anti-blanchiment ou lutte anti-blanchiment faibles


INTERET DES PFJ

Tout d'abord l'intérêt des paradis fiscaux est financier : les 65 paradis fiscaux géreraient ainsi 6000 milliards d'euros, et représenteraient près de la moitié des flux financiers mondiaux. Ils accomplissent des investissements directs à l'étranger à hauteur de 200 milliards d'euros annuels : ainsi 20 % des investissements réalisés en Chine le sont par les Iles Vierges, qui y investissent plus que le Japon ou les Etats Unis, les Iles Caïmans et les Iles Samoa. Le premier investisseur en Inde est l'Ile Maurice. Les Iles Caïmains sont devenus la cinquième place financière au monde. Les paradis fiscaux sont les deuxième détenteurs d'obligations d'Etat américaine.

Surtout les paradis fiscaux ont connu un développement exponentiel ces dernières années : alors qu'ils n'étaient que 25 dans les années 70, ils sont aujourd'hui 65, selon un rapport de l'OCDE leurs avoirs auraient augmenté de 500 % entre 1985 et 1994. Il y aurait 2,4 millions de sociétés écrans dans ces paradis fiscaux.

Les effets sont divers : un manque à gagner fiscal pour les Etats (des services publics affaiblis et un déplacement de la charge vers les plus pauvres : « seules les petites gens paient des impôts! », s'exclamaient ainsi Leona Helmsley, milliardaire américaine, lors de son procès en 1989), une concurrence fiscale entre Etats les obligeants à baisser leur imposition sur le capital en le reportant sur les particuliers (au Pérou les entreprises étrangères ne paient quasiment pas d'impôts), la possibilité pour des multinationales de truquer leurs comptes, une instabilité financière mondiale accrue du fait de l'absence de contrôle de ceux-ci.

Les paradis fiscaux ont aussi joué un rôle dans diverses crises financières mondiales : par leur volatilité (crise en Asie du Sud-Est, en Argentine, au Mexique ou en Russie), ou par leur aptitude à dissimuler des dettes (Parmalat, Enron, Worldcom). Ainsi en 2001 le Brésil a vu s'envoler 4 milliards de dollars rien que vers les Bahamas et les Iles Caïmans.


PARADIS FISCAUX ET NEO-CAPITALISME

Dans le capitalisme présent, fondé sur les monopoles, le refus de la régulation et une paupérisation, les paradis fiscaux jouent un rôle majeur :


- une première pratique : les prix de transfert

Cette pratique permet d'optimiser les profits entre une entreprise et ses filiales en manipulant les prix de transaction. Simon J. Pack a ainsi relevé ces abus : sable importé 2 000 dollars la tonne (contre un prix mondial moyen de 10 dollars), ampoules de flash à 300 dollars (contre 10 cents), mitrailleuses à 364 dollars (contre 2 000 dollars), pneus à 8 dollars (contre 200 dollars)...

Selon un sondage mené par le cabinet Ernst and Young auprès de 476 multinationales réparties dans 22 pays, cette stratégie serait utilisée par 77 % des entreprises sondées!


- une autre pratique : la corruption

Les sommes considérables qui transitent dans les paradis fiscaux peuvent également provenir de la corruption : le corrupteur, qui peut être un vendeur d’armes, ou une compagnie pétrolière en quête de permis d’exploitation, va ouvrir au corrompu, le décideur dont dépend la signature de son contrat, un compte bancaire dans un paradis fiscal.


- une autre pratique : cacher ses dettes

Cette méthode permet de faire apparaître aux investisseurs potentiels un bilan comptable plus sain, voire truquer purement et simplement ces comptes. Cette méthode a été utilisée par Vivendi Universal, Enron, Parmalat ou Worldcom : Enron avait ainsi 800 sociétés écrans dans des paradis fiscaux, dont 600 aux seules Iles Caïmans, avec une seule boîte postale! Parmalat a elle réussi à cacher 11 milliards d'euros de dettes par ce biais.


- les « professionnels » jouent aussi un rôle non négligeable dans l'utilisation des paradis fiscaux

Les banques ainsi en profitent ainsi pour récupérer des commissions liées à la commercialisation de leurs produits opaques : Citigroup a ainsi été mise en cause dans les affaires Enron et Parmalat, Chase Manhattan dans l'affaire Enron, la Deutsch Bank a elle monté un système organisé de fraude fiscale.

Les compagnies d'assurance dites captives sont des filiales d'assurance créées par les multinationales pour assurer toute ou partie de leur activité afin de s'auto-assurer, ce qui leur permet de payer moins de primes, notamment en les installant dans des territoires qui ont des contraintes réglementaires limitées.

Les professionnels du Droit sont les « ouvreurs de porte » vers les paradis fiscaux : ils profitent de leurs connaissances et des lacunes légales pour vendre à leurs clients des stratégies opportunes. Sont ainsi mis en cause les « Big Four », quatre grands entreprises du conseil international (Ernst & Young, KPMG, PricewaterhouseCoopers et Deloitte Touche Tohmatsu) qui sont à la fois des conseillers et contrôleurs de comptes – souvent les deux à la fois, au risque du conflit d'intérêt – des entreprises : ils contrôlent les 500 plus grosses multinationales dans ces deux domaines. Au-delà de ces cas, les banquiers d'affaire, avocats ou experts comptables sont mis en cause.


- divers autres pratiques

Certaines entreprises comme Microsoft profitent aussi de ces paradis fiscaux pour y dissimuler la rente que leur procurent leurs brevets : 500 millions de dollars annuels dans le cas de Microsoft, gérés par une entreprise située en Irlande.

Aux Etats Unis le « Foreign Sales Corporation » permet aux entreprises d'être plus compétitives à l'exportation, avec une défiscalisation possible pour l'exportation dans certains domaines, en passant par des paradis fiscaux (Barbade, Iles Vierges) : une évasion fiscale au nom de la compétitivité.

Les banques peuvent aussi profiter des paradis fiscaux pour solder leurs dettes comme l'a fait le Crédit Lyonnais, ou dissimuler une OPA.

Surtout les paradis fiscaux représentent une oasis pour le blanchiment de capitaux d'origine criminelle.


LE LIECHTENSTEIN

Si ce pays est un des plus petit en Europe, il s'agit aussi d'un des plus riche.

Ce pays se distingue tout d'abord par une fiscalité favorable (notamment sur les sociétés et sur les placements des non-résidents), par une stabilité politique (opposition politique et médiatique quasiment nulle), une réglementation financière et commerciale faible, des faibles moyens financiers et humains dévolus à la lutte contre le blanchiment. Cependant ce qui fait le dynamisme du Liechtenstein c'est avant tout son culte du secret bancaire : celui-ci fait parti de la loi sur la sécurité de l'Etat, voire de l'ordre public.

Le Liechtenstein se distingue aussi par les structures juridiques de certaines de ses entreprises qui garantissent l'anonymat. Ainsi les « Anstalt » sont des sociétés faciles à constituer et soumises à des obligations sociales quasiment nulles. Dans ces sociétés, le pouvoir est délégué à un homme de paille, ce qui permet de cacher les vrais ayants droits économiques (ce qui fut le cas dans l'affaire Elf). Le Liechtenstein se distingue aussi par ses sociétés de domiciliation, 75 000 au total, qui ne sont en fait que des sociétés « boîte aux lettres ».

Ce qui distingue aussi le Liechtenstein, c'est son absence de scrupules concernant l'origine des fonds selon le BND, services secrets allemands. Selon eux le pays recyclerait l'argent des mafias italiennes, russes et colombiennes, ce qui est d'autant plus facile que leur système protège l'identité des propriétaires des fonds.

Le rapport du BND dénonce aussi une collusion entre les criminels des cartels de drogue et certains notables de la principauté, avocats ou gérants de fiduciaires qui leur permettent ainsi de blanchir leurs capitaux.

En matière de coopération judiciaire le Liechtenstein est un des Etat les moins coopératif : les commissions rogatoires internationales donnent ainsi rarement suite. Pour ce faire les autorités se fondent sur la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 qui permet de fonder le refus d'une entraide judiciaire sur l'ordre public : selon le Liechtenstein le secret bancaire ferait donc parti de son ordre public. Par ailleurs les demandes d'entraides judiciaires sont soumises à un processus long et compliqué.

Enfin le Liechtenstein ne possède pas de fichier FICOBA (fichier national des comptes bancaires), et autorise l'ouverture de comptes au profit d'une autre personne : un avocat ou un gérant de fiduciaire peut donc ouvrir un compte au profit d'un de ses clients, celui-ci restant anonyme!

Depuis le Liechtenstein a fait des efforts législatifs, mais ceux-ci restent de façade et limités par une certaine mauvaise volonté politique et des acteurs économiques.

Pour résumer, le Liechtenstein se distingue par un culte du secret (que ce soit en matière bancaire ou dans la structure de certaines entreprises qui garantissent l'opacité), une mauvaise coopération judiciaire, une ouverture aux milieux criminels, et une collusion de certains notables locaux avec ceux-ci.


LA GRANDE BRETAGNE ET SES DEPENDANCES, GIBRALTAR

Londres est la première place financière du monde et se distingue par son caractère international.

Ce qui caractérise Londres, et la City, véritable Etat dans l'Etat, c'est avant tout la structure de ses sociétés, véritable passeport à l'opacité. Contrairement aux pays latins se fondant sur un certain formalisme, la Grande Bretagne et ses dépendances sont régis par la common law, qui permet à la fois de créer très facilement une entreprise, avec peu d'obligations sociales, et surtout une grande opacité de fonctionnement : ainsi les « trusts » permettent de garantir l'anonymat des ayants droits économiques, et sont parfois des sociétés écrans, des coquilles vides permettant de blanchir des capitaux (exemple l'ARC qui avait 2000 sociétés écrans à l'Ile de Man).

Par ailleurs la coopération est extrêmement compliquée : un magistrat raconte ainsi que pour faire une enquête il devait interroger la police britannique, qui interrogeait la police de la City (elle possède une police propre), qui devait interroger un avocat, qui interrogeait un banquier! Gibraltar ne répond jamais aux commissions rogatoires internationales, et la coopération des autres est faible (Man, Jersey, Guernesey...). Comme le Liechtenstein, la Grande Bretagne oblige les demandeurs d'une entraide judiciaire à avoir des preuves d'un fait délictueux afin de fournir des preuves de celui-ci...au mépris de la Convention de 1959, qu'elle a signée.

Le dispositif de lutte anti-blanchiment est aussi réduit : absence de moyens financiers et humains, faiblesse des poursuites et des condamnations, il se fonde surtout sur l'auto-régulation...

Par ailleurs ces Etats se caractérisent par le rôle des « ouvreurs de porte », à savoir le rôle de professionnels du droit qui profitent de leurs connaissances, des insuffisances législatives, et de leur caution pour introduire leurs clients vers les paradis fiscaux et le blanchiment de capitaux. Hors ces professions sont peu réglementées en Grande Bretagne.

De plus la Grande Bretagne n'a pas non plus de fichier FICOBA, et fonde le secret bancaire sur l'habeas corpus et l'exercice de la liberté individuelle.

Même situation dans les territoires d'outre-mer : Iles Caïmans, Iles Vierges, Bermudes, Turks et Cairos, Anguilla, Montserrat.

Cependant il y a eu une évolution depuis quelques années, notamment avec l'arrivée de Blair en Grande Bretagne. Cependant de peur d'effrayer les grosses fortunes, pas de révolution. Gibraltar a elle tout de même radié 20 000 sociétés fictives.

Pour résumer, les paradis fiscaux de la Couronne britannique se caractérisent par un droit des sociétés favorisant l'opacité et les sociétés écrans, une coopération judiciaire faible, et un dispositif interne de lutte contre le blanchiment réduit.


LE LUXEMBOURG

Le Luxembourg est aussi un des pays au monde qui possède le PIB par habitant le plus élevé.

Il se signale par les mêmes élèments que les autres paradis fiscaux et judiciaires : une fiscalité faible pour les non résidents; un culte du secret bancaire (considéré comme un droit de l'homme), la faiblesse des moyens financiers et humains de lutte contre le blanchiment (l'auto-régulation prime, et l'application du corpus législatif est freinée par la réticence des financiers).

Le Luxembourg se signale par sa capacité à créer des formes de sociétés génératrices d'opacité : les holdings 1929, les SOPARFI, les fiducies, les domiciliations de société, toutes soumises à un régime fiscal favorable et à un encadrement légal a minima (pas de registre central d'immatriculation des sociétés...), pain béni pour la constitution de sociétés écrans.

Par ailleurs, dans le rapport de la commission parlementaire sur le blanchiment de capitaux sur le Luxembourg (30 mars 2000), Joël Bucher, ancien directeur général adjoint de la société générale de la Société Générale interrogé sur l'affaire des rétrocommissions sur les frégates vendues à Taïwan indique que la Société Générale a ouvert des comptes au Luxembourg afin d'y verser les rétrocommissions (lors du passage d'un marché, celui-ci peut être facturé pour dégager une commission occulte, la rétrocommission est la partie de cette somme revenant vers le pays d'origine des versements). Il indique même que de nombreuses personnes conseillaient à ceux qui recevaient des commissions occultes d'ouvrir un compte au Luxembourg!

Ce même rapport relate aussi une enquête menée par le magazine Challenges en mars 2000 dont des journalistes indiquent à cinq banques luxembourgeoises qu'ils souhaitent placer 900 000 francs « au black ». A Cortal Bank, on lui conseille de placer la somme en plusieurs fois, grâce à quelques amis, afin d'éviter les problèmes. Au Crédit Lyonnais, on lui conseille de passer par un homme de paille pour faciliter la transaction. A la Société européenne de banque, no problem sur l'origine cachée des fonds.

Mais le Luxembourg c'est aussi le pays de Clearstream...afin de simplifier, dans cette affaire sont mis en cause le système informatique des transactions bancaires (SWIFT), la possibilité pour les banques – Clearstream n'est censé ne s'adresser qu'aux banques – d'ouvrir des sous-comptes qui permettent des transactions financières confidentielles, des dissimulations ou la constitution de caisses noires. Un ancien haut employé de Clearstream indique qu'on l'avait aussi chargé de faire du « hard coding », à savoir rectifier le programme source pour dissimuler des transactions. La Justice est censée être en charge du dossier.


LA PRINCIPAUTE DE MONACO

La Principauté se distingue elle aussi par une fiscalité allégée. Celle-ci fait notamment polémique car en vertu d'un accord fiscal de 1963 entre la France et Monaco, la France verserait annuellement des centaines de millions d'euros à la Monaco au titre de la répartition de la TVA! En gros le contribuable français paierait pour permettre aux Monégasques d'être un paradis fiscal au vu de la faiblesse voire de l'absence de certaines impôts...Cette aide publique au blanchiment est la première ressource budgétaire de la Principauté.

Est notamment mis en cause un mode de calcul contestable qui favorise Monaco : http://www.voltairenet.org/article8430.html, à voir aussi les arguments des autorités monégasques : http://www.gouv.mc/364/wwwnew.nsf/1909$/d79f49c076aef190c1256ff0002bcaecfr?OpenDocument&4Fr

Sinon l'opacité y est aussi de mise : formes de sociétés favorables à l'anonymat (trusts, sociétés de capitaux, fiducies), absence de fichier FICOBA, absence d'obligations à l'encontre des banques.

Les banques sont peu regardantes sur l'origine des fonds : la moitié des dossiers de renseignements concernant leurs clients sont soit vides, soit mal renseignés. Elles sont aussi favorables au silence et au secret.

La Justice est peu indépendante, victime de pression hiérarchique afin d'éviter que des condamnations judiciaires effraient les investisseurs. Peu de moyens financiers et humains (deux personnes seulement au SICCFIN pour contrôler 50 milliards d'euros d'avoirs!).

En matière de coopération internationale même chose : refus de traitement des commissions rogatoires internationales, au nom de l'ordre public.


LA SUISSE

La Suisse a une réputation bancaire ancienne. Mais a aussi quelques « casserolles » : financement des activités du Troisième Reich, refus de restituer les avoirs juifs après la Seconde guerre mondiale.

Le secret bancaire est une obligation professionnelle, pénalement sanctionnée. La fiscalité est favorable aux non-résidents (90 % des fonds déposés font l'objet de l'évasion fiscale de leur pays d'origine). Elle connait aussi des sociétés favorables à la dissimulation de fonds (fiducies). Comme les autres paradis fiscaux et judiciaires elle a une législation de façade, et consacre peu de moyens financiers et humains à la lutte anti-blanchiment.

Les banques sont aussi mises en cause : elles se régissent par l'auto-régulation, sont peu actives (elles peuvent accepter l'argent du crime ou ceux de dictateurs).

En matière judiciaire, la division par cantons ne facilite pas la tâche, en matière de coopération judiciaire, la procédure est complexe, avec beaucoup d'intervenants, elle n'hésite pas à refuser la coopération en se fondant sur une exception au principe posé par la Convention de 1959 : les infractions fiscales.


POINTS COMMUNS DES PARADIS FISCAUX

Hormis ces états européens sur lequel on insiste au motif de leur proximité et que cette filière est peu évoquée, les autres paradis fiscaux ont diverses spécialités : assurance et réassurance (Bermudes), l'e-commerce (Bahamas), les fonds d'investissements (îles Caïmans), la domiciliation d'entreprises (Iles Vierges), les exportations américaines (la Barbade), le droit de propriété intellectuelle (Irlande), pavillons de complaisance (Libéria).


En tout cas comme on le voit les paradis fiscaux partagent beaucoup de points communs.


- tout d'abord l'opacité : opacité dans la formes des entreprises qui permettent de dissimuler les ayants droits économiques et font fonction de sociétés écrans facilitant le blanchiment de capitaux; opacité aussi dans le culte du secret bancaire; opacité aussi dans les règles a minima de création et de vie des sociétés

- ensuite une défense de cette opacité : par le manque de coopération internationale, au mépris de leurs engagements conventionnels parfois; par un manque de moyens financiers et humains dans la lutte anti- blanchiment; un manque de volonté évident de la part des intermédiaires financiers

- une fiscalité basse

- notons cependant que les initiatives françaises, européennes et internationales ont engendré une évolution législative de la part de beaucoup de pays, encouragé par l'atteinte à la réputation de leur place financière, même si cette évolution est bien souvent de façade. Reconnaissons à l'Europe et notamment à la France un rôle moteur en la matière


DES SOLUTIONS CONTRE LES PARADIS FISCAUX

Depuis la mobilisation du début des années 2000, il y a eu quelques avancées : de nombreux Etats ont fait des efforts pour instituer plus de moyens dans la lutte contre le blanchiment de capitaux, légiférer sur certaines sociétés opaques ou coopérer judiciairement.

Cependant ces évolutions sont souvent des évolutions de façade : le système n'a pas été remis en cause, quelques Etats insignifiants ont servis de bouc-émissaires, le secret bancaire est toujours en place dans certains Etats, et la législation est souvent lacunaire.


Un dipositif existe déjà au niveau international : le GAFI a établi 49 recommandations et une liste noire, l'OCDE et l'ONU travaillent aussi sur ce point, tout comme le Forum de stabilité financière établi par le G8.

Divers solutions sont envisageables autour de certains axes :


- harmoniser

Il convient d'harmoniser la fiscalité (par le biais notamment de la directive européenne sur l'épargne dont le champ limité doit être étendu et s'occuper du problème de la taxation de l'épargne des non résidents,) afin de prévenir de la concurrence fiscale entre Etats.

Il convient aussi d'harmoniser la légalité, notamment le droit des sociétés et le droit des affaires. Pour le droit des sociétés il faut légiférer sur les sociétés opaques (trusts, fiducies, anstalt, holdings, sociétés de domiciliation...) : une charte internationale, avec des normes minimales est ainsi envisageable. En cause : identifier les ayants droits économiques et prévenir l'anonymat et l'opacité, et un minimum de vie sociétale : le déroulé d'assemblées générales, la publication de comptes, l'obligation d'immatriculation ou l'inscription sur un registre central. Il serait nécessaire aussi d'harmoniser le droit pénal : pour certains l'évasion fiscal ou la fraude ne sont pas considérés comme délictueux.

Il convient aussi de permettre la levée du secret bancaire en cas de demande de coopération judiciaire internationale et de lever les conditions supplémentaires excédant la convention européenne de 1959. Il faudrait aussi généraliser les fichiers bancaires de type FICOBA.


- réguler

Il convient aussi de réguler l'activité économique dans certains domaines : afin de contrôler le capitalisme, il faudrait imposer un minimum de règles économiques.

Il s'agit tout d'abord de règlementer les différentes professions susceptibles de faciliter l'accès aux paradis fiscaux; il convient aussi d'instituer un contrôle plus rigoureux des comptes des entreprises, avec l'obligation que leur certification de comptes, obligation en cas de cotation boursière, s'étendent à l'ensemble de leur activité (même à des territoires exotiques); il convient de contrôler plus sérieusement les transactions avec les banques de compensation (Clearstream, Euroclear, SWIFT...).


- sanctionner

Le magistrat Jean de Maillard affirmait que les paradis fiscaux voulaient organiser un « monde sans loi ». Il appartient donc de sanctionner les différentes dérives.

Cela passe déjà par une responsabilisation accrue des différents acteurs économiques en étendant l'obligation de déclaration de soupçon à plus de professions, étendre l'obligation de vigilance en pénalisant la négligence.

Concernant les autorités de contrôles existants : il convient de judiciariser TRACFIN, d'accroître les pouvoirs du GAFI (et que sa liste soit plus crédible : la Suisse a présidé le GAFI en 1992), afin que ses normes aient un caractère impératif.

Il convient surtout d'internationaliser la justice : instituer une autorité mondiale de régulation afin d'avoir une régulation transnationale, favoriser la coopération internationale.

Il faut aussi dépasser le stade de l'autorégulation et aller vers une plus grande sanction; il faut mettre plus de moyens financiers et humains dans la lutte contre le blanchiment de capitaux. Il est possible aussi de sanctionner les pays non-coopératifs en instituant une taxe dans les transactions avec elles.

Il convient (à terme...) d'interdire aux banques françaises d'avoir des filiales dans les paradis fiscaux, de sanctionner les firmes passant par eux en les interdisant de marchés publics, de garantie publique (COFACE).


Grâce aux pressions conjuguées de la France, de l'Italie, de l'Union européenne, du GAFI, de l'OCDE, de l'ONU ou du G8, il y a eu d'importantes évolutions dans les paradis fiscaux, mais rappelons-le ces évolutions sont souvent de façade et les « attaques » contre les paradis fiscaux ont souvent visé des pays marginaux, qui firent offices de bouc-émissaires, alors que les plus puissants passaient entre les mailles du filet.

D'un point de vue judiciaire, la Cour de justice européenne a mis en cause les montages artificiels liés à l'utilisation des paradis fiscaux (arrêts Halifax en avril 2005, Cadbury Schweppes en mai 2006, confirmés en 2007).

Malgré ces évolutions, le système n'a pas été fondamentalement remis en cause. Il convient donc de continuer le travail. Un travail long, mais comme le disait Saint Just, « il n'y a que ceux qui sont dans les batailles qui les gagnent ».

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