mardi 16 octobre 2007

DE L'OR BLEU A L'OR VERT

Réalisé par Steven Soderbergh en l'an 2000, le film « Erin Brockovitch » raconte l'histoire vraie d'une secrétaire juridique (jouée par Julia Roberts) qui fit éclater un énorme scandale écolo-politico-juridique et fit obtenir la plus importante indemnité jamais accordée suite à une action directe aux Etats Unis.
Dans ce dossier elle découvrit qu'une société de distribution d'eau, filiale d'une multinationale, rachetait des maisons dans une petite ville californienne où de nombreux habitants se plaignaient de cancers et de maladies diverses. En menant une enquête minutieuse elle découvre que la compagnie de distribution d'eau déversait sciemment des déchets toxiques dans une nappe phréatique, causant ces maladies.
Le fait qu'Hollywood se soit inspiré d'un fait réel est peu étonnant. En effet la gestion de l'eau au niveau mondial et national est une vraie mine à scénarios : affairisme, opacité, lobbying ou corruption sont le quotidien du monde de l'eau. Un quotidien dont peu de médias, et peu de partis politiques, parlent.

L'eau : un état d'urgence

Le problème de l'eau tient une place étonnamment faible dans le débat politique au vu de l'état d'urgence actuel : toutes les huit secondes un enfant meurt pour des motifs liés à l'eau, 80 % des maladies du Tiers monde sont liées à la consommation d'eau, de 3 à 5 millions de personnes meurent par des maladies liées à l'eau, 1,5 million d'êtres humains n'ont pas accès à l'eau potable.
Au-delà de ces réalités chiffrées, les réserves d'eau douce s'épuisent de plus en plus ou sont de plus en plus polluées alors que la population mondiale augmente tout comme sa consommation d'eau.
Pourtant face à cette réalité les gaspillages ne cessent pas : alors que les gaspillages domestiques d'eau sont surmédiatisés, on constate que 70 % de l'eau est utilisée par l'agriculture, 20 % par l'industrie et seulement 10 % par les particuliers. Malgré tout aucune prévention et aucune réglementation n'existent. Au contraire l'Europe subventionne l'agriculture intensive, gaspilleuse d'eau, par la PAC et se désintéresse des problèmes d'irrigation excessive ou d'évaporation d'eau et évite toute régulation fiscale pour éviter les gaspillages ou atteintes à l'environnement.
Au niveau de la France 80 % des points d'eau seraient dissimulés, ce qui est d'autant plus facilité par les faibles moyens financiers et humains des polices des eaux chargés des contrôles.

Le principe du pollué-payeur

Chaque année le contribuable français consacre 11 milliards d'euros au paiement des factures d'eau. Pourtant les gros agriculteurs ne paient que 20 % des redevances pour lutter contre la pollution alors qu'ils sont responsables de 90 % de cette pollution. Ils se voient même accorder des aides à la dépollution.
Le motif de ce privilège? La gestion de l'eau au niveau national est déléguée aux agences de l'eau, dont le président est désigné par le Président de la République. Un rapport commandé en 1997 par Corine Lepage et Jean Artuis a mis en lumière les dysfonctionnements de ces agences qui ont été noyautées par les grands lobbies agricoles.
Ces agences fonctionnent en toute opacité comme l'a prouvé un rapport de la Cour des comptes de 1996 : elles gèrent elle-même le pactole des milliards d'euros versés par le contribuable et font des profits grâce aux 1,5 milliards d'euros versés pour la dépollution.
Du coup ces lobbies s'arrangent pour ne pas avoir à financer la dépollution alors qu'elles sont responsables de la pollution et font main basse sur la manne que représente l'argent public destinée à dépolluer.

Quand les multinationales font la loi

La grande évolution du capitalisme moderne est la concentration de l'activité de quelques multinationales : à la concurrence pure et parfaite ont succédé les oligopoles voire les monopoles. Le secteur de l'eau en est le parfait reflet : ainsi 70 % du marché est monopolisé par trois multinationales à savoir Véolia-Vivendi (ex- Compagnie Générale des Eaux), Suez (ex-Lyonnaise des Eaux) et SAUR-BNP-Bouygues.
En France dans 88 % des marchés publics une de ces trois entreprises apparaît et dans 31 % des cas une de ces trois entreprises est la seule présente dans les marchés. Dans certains endroits – notamment en Ile-de-France – la répartition des marchés est digne de la mafia.
Cette situation pose problème dans la mesure où ces trois multinationales profitent de leur oligopole pour abuser de leur pouvoir : les contrats portent sur des durées exceptionnelles (20-30 ans voire plus), les travaux sont souvent surfacturés dans la mesure où la bande des trois, profitant de leur savoir-faire technique, vend des Harley Davidson aux collectivités locales quand un vélo suffirait, le tout aux frais du contribuable.
Afin de garder leur statut, la bande des trois utilise la pratique du pantouflage : ainsi elle engage des hauts fonctionnaires de la Cour des comptes, du monde judiciaire (brigade financière, hauts magistrats) qui profite de leur savoir-faire pour faire de la prévention dans leur nouveau job : explication des techniques utilisées, failles du système, réseau.
Ces multinationales profitent aussi parfois de subventions des organisations internationales (FMI, Banque mondiale) : ainsi lors d'opérations humanitaires, les multinationales de l'eau interviennent, bon sentiment et bon coup de communication, et en profitent pour récupérer à terme des marchés. Une stratégie utilisée en Chine ou en Afrique du Sud. En Irak, l'entreprise Bechtel, anciennement dirigée par Dick Cheney, a obtenu le marché de reconstruction des canalisations d'eau détruites par les bombardiers américains.

Les lobbies de l'eau

Au niveau international, il s'agit tout d'abord de la Banque mondiale et du FMI qui conditionnent souvent leurs aides à des pays en développement ou le rééchelonnement de leur dette à l'obligation de privatiser la gestion de leur eau.
Il s'agit aussi des pseudo-organisation mondiale de l'eau : forum mondial de l'eau (Marrakech 1997, La Haye 2000, Kyoto 2003) notamment qui sous couvert de grands débats humanistes sur le problème de l'eau cache en fait des réunions organisées par les multinationales de l'eau qui y sont d'ailleurs sur-représentées. Lors de ces forums est débattu de la possibilité de la conquête de nouveaux marchés ou de la marchandisation de l'eau.
Il s'agit aussi de la commission mondiale de l'eau dont les membres sont majoritairement des membres des multinationales de l'eau. Jérôme Monod, ex président de la Lyonnaise des eaux (Suez) et conseiller de Jacques Chirac en fut ainsi membre.
Au niveau national, il s'agit des agences de l'eau ou des comités de bassin qui sont contrôlés par les lobbies agricoles; il s'agit aussi des multinationales de l'eau qui font pression sur les élus de la République soit par connivence (l'ex-Lyonnaise des eaux très proche de l'ex-RPR) soit en les corrompant par des financements occultes, divers cadeaux ou services en nature.

Eau et opacité

Ce qui caractérise la gestion de l'eau c'est le manque de transparence.
Ce manque de transparence apparaît de manière générale sur certains points : ainsi certaines multinationales constituent des bureaux d'études ou des entreprises de construction bidons, afin de gonfler leurs frais et surtout détourner un peu d'argent aux profits de leurs potes.
Ce manque de transparence apparaît aussi par des détournements de fonds publics : traditionnellement la Compagnie Générale des eaux avait été chargée du domaine commercial alors que la Mairie de Paris s'occupait des gros investissement. Ce système perdure car les multinationales profitent du fait que les gros investissements les concernant sont réalisés par les pouvoirs publics, c'est-à-dire par les contribuables, même si elles font d'importants bénéfices.
Ce manque de transparence apparaît aussi au niveau comptable : plusieurs rapports de la Cour des comptes mettent en cause des frais commerciaux ou informatiques anormalement excessifs ou de nombreux oublis comptables élémentaires.
Ce manque de transparence concerne notamment les « provisions ». Ce concept permet aux multinationales de l'eau de demander aux collectivités locales d'avancer des fonds pour leur permettre de financer l'entretien des canalisations, dans un état dépassé dans beaucoup de communes françaises. En tout 4,5 milliards d'euros ont été avancés en France alors qu'aucuns travaux n'ont été effectués! Dans leur ouvrage « L'eau des multinationales », Jean-Luc Touly et Robert Lenglet font ainsi mention d'une somme de 27 milliards d'euros de provisions accumulées par Vivendi-Veolia non utilisée qui a été finalement détournée vers un compte irlandais afin d'en retirer des intérêts. Vivendi-Veolia essaie de trouver des arguments rationnels, toujours est-il que l'utilisation de ces fonds a l'apparence d'un détournement en bonne et due forme.
L'opacité apparaît aussi concernant la qualité de l'eau mise en bouteille, moins contrôlée que l'eau du robinet : un tiers de l'eau en bouteille serait contaminée, un quart ne serait que de l'eau du robinet ayant subi quelques manipulations.
L'opacité concerne aussi le musellement des contre-pouvoirs éventuels : ainsi par le pantouflage les multinationales de l'eau bénéficient de réseaux d'influence et de taupes dans le monde judiciaire; concernant le syndicalisme Jean-Luc Touly raconte comment Vivendi muselait les syndicats : salaires gonflés pour les permanents syndicaux, avantages en nature (voiture de fonction, primes annuelles de 10 000 €...) ou procédures judiciaires répétées contre les rebelles, de quoi pousser les syndicats à soutenir une direction si généreuse. Et si des questions ou contestations apparaissent de la part de certains élus, les multinationales de l'eau ont rédigé un argumentaire type pour noyer le poisson.

Eau et corruption

La liste des affaires de corruption dans le domaine de l'eau est longue : affaire Carignon à Grenoble, affaire Noir à Lyon, affaire Botton, affaire des lycées d'Ile de France, affaire Gifco...L'affaire Carignon est très illustrative : la Lyonnaise des eaux, proche du RPR, propose à Alain Carignon de financer une de ses campagnes si celui-ci accepte de leur accorder le marché public de la gestion d'eau à Grenoble; pour les lycées d'Ile-de-France un pourcentage des marchés était accordé aux principaux partis de gouvernement français; dans l'affaire Gifco l'argent était détourné au profit du PCF.
Depuis la loi de décentralisation de 1982 les possibilités de pression sur les élus sont nombreuses : ainsi les multinationales de l'eau offrent des voyages d'études aux élus pour qu'ils aillent visiter à leur frais leurs installations dans les Antilles ou dans d'autres destinations exotiques. De quoi convaincre. Sinon les cadeaux sont possibles comme la fabrication de piscines privées. A Rennes un audit a été fait sur le coût de l'eau qui prouvait que celle-ci était moins chère en régie municipale, publique. Cela n'a pas empêché la municipalité de signer un contrat de dix ans avec Véolia...
Une autre pratique : les droits d'entrée comme ce fut le cas à Toulouse ou à Tarbes. Le système consiste à payer une forme de droit pour exploiter la gestion de l'eau d'une ville. Cette transaction est affectée au remboursement de la dette d'une ville, de quoi paraître comme un bonne pratique. Dans les faits ces droits d'entrée sont des prêts, d'ailleurs interdits par loi Barnier de 1995, dont le taux est souvent à deux chiffres. De quoi engraisser les multinationales par une rente déguisée.
Mais les multinationales ne sont pas toujours des racailles en col blanc : afin de convaincre les élus elles rédigent des argumentaires et usent des méthodes de communication proche des commerciaux pour mieux manipuler leurs clients.

Le modèle parisien

Paris et l'Ile-de-France sont la parfaite illustration de l'opacité et de la corruption régnant dans le domaine de l'eau. L'eau est gérée par un groupement d'intérêt économique, la SAGEP, gérée à 70 % par la ville de Paris et à 15 % par Suez et Vivendi, et surtout noyautée par des représentants des multinationales de l'eau.
La chambre régionale des comptes met en cause des surfacturations, des anomalies comptables (services commerciaux avec des factures doubles à celle des autres villes), des anomalies matérielles (la SADE qui gère le remplacement des compteurs d'eau dont le remplacement est double à celui des autres villes). Pourtant le syndicat local de l'eau, le SEDIF, est dirigé par le vertueux André Santini, actuellement mis en cause dans une affaire judiciaire.
Au final le prix de l'eau à Paris a augmenté de + 123 % en quelques années... Depuis l'arrivée de la gauche au pouvoir un audit a été fait sur ces contrats, tout comme une remise en cause de la rente dont bénéficient Suez et Vivendi.

L'eau, une marchandise comme les autres?

L'eau est un bien particulier : son caractère vital en fait un bien plus précieux que toute marchandise ou que toute drogue.
Profitant de ce statut les multinationales ont profité des forums mondiaux de l'eau pour en faire non pas un « droit » mais un simple « besoin ». Profitant de la complicité des institutions internationales, elles en ont profité pour faire de l'eau une marchandise hautement rentable.
D'un côté la Nature, bien commun à l'humanité, se retrouve propriété de groupes privés : des groupes privés comme Coca Cola, Pepsico ou Nestlé deviennent ainsi propriétaires de nappes phréatiques qu'elles rachètent. Certaines questions méritent d'être posées : à qui appartient l'eau douce? Fait-elle partie du domaine public? Et quand on voit que Coca Cola ou Pepsico payent un cent pour prélever l'eau qu'elles facturent un dollar (soit cent fois plus), des questions méritent d''être posées.
Des déviances apparaissent : à l'exemple d'entreprises comme Saint Gobain qui se sont enrichies grâce à l'amiante, avant de s'enrichir grâce à la lutte contre l'amiante, les multinationales de l'eau s'enrichissent grâce à des filtres anti-plomb alors qu'elles commercialisaient une eau contaminée par le plomb; de plus des courtiers en eau apparaissent : l'eau est devenue une marchandise comme les autres, à la différence près qu'elle est vitale.

L'eau au niveau international
Au niveau international la gestion de l'eau apparaît aussi scandaleuse.
Comme on l'a vu les institutions internationales accordent leur prêt et le rééchelonnement de la dette à la condition d'une privatisation des services de l'eau.
L'eau est parfois motif de guerre comme au Moyen-Orient : Syrie et Israël s'affrontent concernant la propriété du Golan qui outre son intérêt stratégique a un intérêt aquifère; 40 % des réserves d'eau israéliennes sont situées dans les territoires occupés palestiniens; par le biais de restrictions, les Israéliens consomment trois fois plus d'eau que leurs voisins palestiniens.
Ces inégalités apparaissent aussi au niveau international : un parisien consomme la moitié d'eau que consomme un californien et dix fois plus qu'un africain. Au niveau national certains pays touristiques (Tunisie, Indonésie) coupent l'eau pour les autochtones afin de favoriser les touristes (par exemple pour arroser leurs terrains de golf). En Afrique du Sud les ghettos noirs sont défavorisés en eau quand les terrains agricoles blancs sont favorisés au nom de l'agriculture.

Des solutions pour mieux gérer le problème de l'eau

D'un point de vue général, le modèle français doit être remis en cause : dans toutes les communes où l'eau est gérée en régie municipale, le tarif de l'eau est inférieur à leurs voisines dont la gestion de l'eau est confiée au privé. Il faut donc remunicipaliser la gestion de l'eau.
D'un point de vue fiscal il faut imposer une écofiscalité pour aboutir au principe pollueur-payeur, voire instituer une fiscalité mondiale.
Concernant l'accès à l'eau, à l'exemple de la ville de Durban en Afrique du Sud où les six premiers mètres cubes d'eau sont gratuits, il convient d'instituer la gratuité universelle pour l'accès à un minimum vital d'eau; il convient d'instituer un droit à l'eau pour tous, de le considérer comme un droit de l'homme.
Au niveau international, beaucoup reste à faire : 11 milliards d'euros sont consacrés à l'eau alors que 1 100 milliards sont utilisés pour les armes. Il est possible d'instituer un fonds coopératif de l'eau, de rénover la PAC pour qu'elle favorise l'agriculture écologique et non l'agriculture productiviste comme actuellement, d'instituer des règles pour imposer une « paix de l'eau ».
Afin de lutter contre l'affairisme, l'opacité et le manque de transparence, il convient de renforcer le pouvoir des chambres régionales des comptes, d'augmenter les moyens financiers et humains des polices des eaux chargées des contrôles, de légiférer sur le lobbying (que ce soit dans les institutions comme les agences de l'eau ou dans le domaine privé), d'appliquer les législations Sapin et Barnier qui imposent des comptes détaillés aux multinationales de l'eau.
Afin de lutter contre les gaspillages, notamment dans le domaine agricole, il convient de faire de la prévention (pour favoriser les systèmes d'irrigations efficaces tels le goutte à goutte contre des systèmes générateurs de gaspillage, ou favoriser les productions avares en consommation d'eau), imposer une législation pour concilier progrès économique et impératifs écologiques.
ACME (association pour un contrat mondial de l'eau) se fixe cinqs objectifs : faire reconnaître l'eau comme un bien commun patrimoine de l'humanité, faire reconnaître un droit d'accès à l'eau pour tous (40 litres d'eau potable par jour et par habitant), un financement public international (aide au développement, impôt mondial), une gestion publique de l'eau et la création d'un service public mondial de l'eau.
La fondation France Libertés, dirigée par Danielle Mitterrand propose le respect de trois principes : un droit à l'eau libre, potable et gratuite.
L'association Blue Planet Project propose un traité pour légiférer sur l'eau avec pour principes : l'eau n'est pas une marchandise, elle est un patrimoine commun, doit être préservée, le public doit participer aux décisions la concernant, instituer des conseils locaux de gestion de l'eau.
Comme on le voit beaucoup reste à faire et surtout beaucoup reste à dire à l'encontre des multinationales de l'eau et des institutions mondiales qui par leur manque de transparence, leurs méthodes de corruption, leur lobbying font de l'eau, bien vital, une marchandise. Face à cette situation nous n'avons pas qu'un devoir de victoire, nous avons aussi un devoir de parole et de dénonciation. Attendons donc que Raël ait réussi à
cloner des êtres humains pour pouvoir cloner Erin Brockovitch. Le combat ne fait que commencer.

Aucun commentaire: